Fiora et le Magnifique
n’oublies qu’une chose :
beaucoup de gens me connaissent à Florence ; quelqu’un pourrait...
– Te
reconnaître ? Tu m’ prends pour une imbécile ? Bien sûr que ça
pourrait arriver mais tu ne penses tout de même pas qu’en dehors de celui qui
te veut, j’ vais t’ faire coucher avec n’importe qui, au risque qu’un ivrogne t’éventre
d’un coup de couteau ? T’es pas d’la marchandise pour marin ivre. Si tu
veux tout savoir, ceux qui t’ont amenée ici veulent qu’après ce que tu sais, je
t’emmène à Ancône où j’ai des intérêts pour t’y vendre discrètement... mais
cher, à quelque pirate turc.
– A
Ancône ? Dans les États du pape ? Comme c’est vraisemblable !
– Plus
que tu ne le crois. Notre Saint-Père actuel se soucie pas d’une croisade. Il
aime surtout l’or. D’ailleurs il sait pas toujours c’ qui s’ passe derrière son
dos... Mais rassure-toi, tu n’iras pas là-bas. J’ vais pas risquer les aléas d’une
vente à la sauvette avec un Turc alors qu’il y a à Rome un cardinal qui me
donnera ton poids en or...
– Un
cardinal ? fit Fiora horrifiée.
– Pourquoi
pas ? C’est des hommes comme les autres et celui-là est encore plus homme
que tous les autres. Faut pas lui en promettre d’ la belle fille. S’appelle
Rodrigo Borgia, c’est 1’cardinal-vice-chancelier, un vrai taureau ! Tu
verras...
– Je
ne verrai rien du tout, cria Fiora. Crois-tu vraiment que je vais rester ici ?
– Tu
pourras pas faire autrement !
– Alors
je me tuerai !
– T’en
auras pas l’occasion. On t’ surveillera ma belle. Mais maintenant assez parlé.
J’ croyais qu’t’avais faim ?
– Les
charmes de ta conversation me l’ont fait oublier...
Brutalement,
la Pippa saisit le visage de Fiora qu’elle serra à lui faire mal :
– Te
fous pas d’moi ! Pourrait t’en cuire !
– Allons
donc ! Tu n’es pas femme à abîmer la marchandise, tu me l’as dit...
– Y
a d’autres moyens que le fouet. Par exemple, avec un piment placé au bon
endroit. Va t’ coucher maintenant. On va t’apporter à manger et puis tu
dormiras encore. Rien d’tel qu’ le sommeil, le vrai, et une bonne nourriture
pour faire une belle peau. Demain faudra être prête à plaire...
Mais
Fiora n’avait plus envie de dormir. Livrée à elle-même, elle fit le tour de son
nouveau logis, cherchant une issue, un trou dans lequel se glisser pour
retrouver la liberté. La Pippa lui avait bien dit que, dehors, elle risquait
une prison plus dure que celle-ci et une mort affreuse mais elle pensait que
tout valait mieux que rester ici pour y être livrée au caprice d’un inconnu
dont elle cherchait en vain qui il pouvait bien être.
Hélas,
l’évasion semblait difficile sinon impossible. La porte, basse et rébarbative
avec ses pentures de fer et sa grosse serrure était impossible à forcer. D’ailleurs,
lorsqu’on l’ouvrait on pouvait entendre claquer les verrous extérieurs. Il
était donc impossible de passer par là à moins d’affronter la lutte avec la
Virago et cela relevait de la pure folie : on ne se mesure pas à une
montagne...
Le
soupirail, qu’elle atteignit en montant sur un escabeau, donnait sur une cour
intérieure, une sorte de puits qui semblait aveugle mais qui devait tout de
même avoir une issue quelconque. La vue qu’elle en eut permit néanmoins à la
jeune femme de constater que sa chambre se trouvait au rez-de-chaussée, ce dont
elle se doutait d’ailleurs puisqu’un peu de jour filtrait par le trou d’écoulement
des eaux. Seulement, pour passer, il aurait fallu scier ou desceller au moins l’un
des barreaux qui interdisaient le passage. A tout hasard, Fiora secoua l’une
après l’autre les trois barres de fer et constata que l’une bougeait un peu.
Mais le fracas des verrous se faisait entendre et elle bondit jusqu’au lit pour
ne pas être surprise dans ses tentatives.
Pippa
la trouva couchée et eut un large sourire :
– On
dirait qu’ tu sais être raisonnable ? Dans c’ cas on pourra s’entendre.
Tiens, j’ t’apporte du poulet au zafferano (safran), du pain blanc et des
prunes confites ! Demain, t’auras du chianti pour te donner des couleurs
et t’échauffer un peu l’ sang...
Elle
disposait l’écuelle sur les genoux de Fiora et, à sa grande surprise, lui jeta
même une serviette – cette rareté que l’on ne trouvait alors que dans quelques
maisons très raffinées ! – sur
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