Fiora et le Magnifique
l’aube. Quand le coq fit entendre son chant, Démétrios tira
de sous ses loques une poignée de florins qu’il posa dans la griffe de son compagnon.
Puis il se leva et étira ses longs membres :
– Penses-tu
y parvenir ? demanda-t-il.
L’autre
haussa les épaules et fit couler les pièces d’or d’une main dans l’autre avec
délectation :
– C’est
l’enfance de l’art. Dans deux heures, le bruit que la jeune fille a été enlevée
du couvent et ne s’est pas enfuie courra les parvis et les marchés aussi vite
que le vent d’autan.
– Tu
es certain que ni toi ni tes frères ne risqueront de tomber sous la main du
Bargello ?
– On
n’arrête pas le vent. Il naît sans que l’on sache pourquoi ni d’où il vient, il
passe mais nous veillerons à ce qu’il ne s’éteigne pas trop vite. Sois sans
crainte ! Nous sommes habiles et les commères en auront pour leur argent.
Démétrios
hocha la tête, sourit et s’en alla réveiller Fiora. Une heure plus tard, après
avoir traversé toute la largeur de la ville au milieu des charrettes de légumes
et de volailles qui s’en allaient vers le marché, ils franchissaient, dans l’indifférence
générale et sans même que les soldats de garde leur accordassent un regard, la
porte a Pinti qui regardait vers Fiesole, longeaient le mur du couvent des
Camaldules et celui du merveilleux jardin de la Badia construite jadis par
Cosimo de Médicis.
L’air
du matin était léger, pur et transparent, avec cette belle lumière irisée qui
annonce une journée de soleil mais le cœur de Fiora, s’il était délivré de la
peur, demeurait lourd tandis qu’elle cheminait auprès de Démétrios dans la
poussière de ce chemin tant de fois parcouru jadis au trot de son cheval ou
dans le joyeux carillon des sonnailles d’une mule. Là-haut, il y avait sa
maison dont elle pouvait apercevoir le grand toit brun, cette douce maison dans
les lauriers où Philippe lui avait donné quelques heures de merveilleux bonheur
et elle clignait des yeux, dans la lumière, comme un oiseau de nuit projeté
soudain dans le soleil. Les choses n’avaient plus le même visage ni la même
couleur et Fiora se retrouvait étrangère, reine déchue devenue mendiante, au
milieu de ce beau pays qu’elle aimait de toutes les fibres de son corps, de
toute la tendresse de son cœur et qui ne la reconnaissait plus.
Démétrios
qui l’observait du coin de l’œil, la voyant buter dans une ravine laissée par
les dernières pluies, saisit son bras et ne le lâcha plus :
– La
côte est rude et le chemin te paraît amer, Fiora Beltrami, parce que tu es
tombée de haut et que tes blessures saignent encore mais sache que celui qui
veut atteindre le sommet de la montagne ne peut s’abstenir d’en gravir la
pente.
– Crois-tu
qu’il existe encore un sommet pour moi ? Je suis lasse, Démétrios...
– Je
te l’ai dit : tu saignes encore mais les cicatrices font la peau plus
dure. Je vais te guérir et tu pourras alors apercevoir de nouveau l’horizon. Tu
découvriras que tu as envie ... d’aimer et d’être aimée.
– Jamais !
Jamais plus je n’aimerai ! Il y a trop d’amertume dans mon cœur pour que l’amour
y revienne un jour. Tout ce que je désire, à présent, c’est venger mon père, ma
mère et me venger moi-même. Songe que l’on m’a tout pris, que ma maison a été
pillée, dévastée, que l’on a tué peut-être celle qui a veillé sur mon enfance,
ma chère Léonarde à laquelle j’osais à peine penser dans cette maison dont tu m’as
tirée...
– Je
peux t’assurer que personne n’a été tué quand le palais Beltrami a été envahi.
Les serviteurs qui ne se sont pas enfuis ont été dispersés. Bernardino le
mendiant s’est renseigné. Ta Léonarde a trouvé un refuge.
– Où ?
Toutes les portes ont dû se fermer devant elle, même celle de Colomba, la
gouvernante de mon amie Chiara Albizzi. A moins ... qu’elle n’ait pu aller chez
sa nièce, Jeannette, qui a épousé un fermier du Mugello ? Oh ! si je
pouvais en être sûre ?
– Je
la retrouverai, sois sans crainte ! Quant à la vengeance, il est naturel
que tu y songes.
– Je
ne pense qu’à cela ! mais je n’ai plus rien pour m’aider à la poursuivre,
rien que ces deux mains, ajouta-t-elle avec amertume en étendant devant elle
ses doigts minces qui avec leurs ongles cassés, semblaient incroyablement
fragiles pour si lourde tâche.
– Ne
peux-tu me
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