Fiora et le Magnifique
piments et les touffes de thym,
de laurier, de marjolaine et de romarin qui pendaient de la voûte.
Sachant
toute conversation difficile sinon impossible, Fiora se laissa faire. Samia la
dépouilla de ses vêtements qu’elle jeta dans un coin pour les brûler plus à
loisir, la mit dans une grande bassine où elle la lava à grande eau, la sécha
rapidement, lui passa une chemise de fine toile et des pantoufles de velours un
peu trop grandes mais confortables puis l’installa à table pour lui servir une
grande écuelle de son ragoût de mouton aux herbes, une large tranche de fromage
et des petits gâteaux à la pâte d’amande, le tout arrosé d’un généreux chianti
qui ramena des couleurs aux joues de la rescapée des bas-quartiers.
Fiora,
qui avait littéralement dévoré ce bon repas, sentit davantage la fatigue de son
corps et de son esprit. Elle se laissa emmener docilement dans une chambre de l’étage
où elle ne vit qu’une chose : un lit bien blanc l’y attendant, la
couverture ouverte. Elle se glissa avec bonheur dans les draps qui sentaient
bon la lavande et s’endormit dès que sa tête reposa sur l’oreiller.
Samia
resta un instant auprès d’elle puis, constatant qu’elle dormait, tira les
rideaux du lit et quitta la chambre pour rejoindre dans la cuisine Démétrios et
Esteban qui, à leur tour, venaient se mettre à table. Le médecin grec avait
échangé ses haillons pour l’une de ces robes de velours noir qu’il
affectionnait après avoir fait une toilette rapide à la fontaine du jardin.
Tandis
qu’Esteban taillait de larges tranches de pain dans la miche posée sur la
table, Démétrios se versa un plein gobelet de vin qu’il but lentement avec la
visible satisfaction d’un homme qui n’a rien dégusté de tel depuis longtemps :
– L’hospitalité
de nos amis mendiants est généreuse mais leur ordinaire n’atteint pas les mêmes
sommets. Il est bon de se retrouver chez soi...
Il
attaqua avec appétit le ragoût que lui servait son esclave, but encore un verre
puis se tourna vers Esteban :
– As-tu
fait ce que je t’avais ordonné ?
– Oui,
maître... L’autre jour, quand les deux femmes sont parties pour le couvent
Santa Lucia, je me suis approché de l’homme que tu m’avais désigné...
– Marino
Betti, celui qui, en dépit de son serment, avait raconté l’histoire de Beltrami
en Bourgogne à la dame Pazzi ?
– Sois
tranquille, je n’ai pas commis d’erreur. Je l’ai abordé. Au milieu de ces gens
qui parlaient tous à la fois, il avait l’air désorienté. Alors, j’ai joué les
enthousiastes. Je lui ai dit combien je l’admirais d’avoir fait passer son
devoir de citoyen de Florence, et même de chrétien en dénonçant la fraude
commise par feu Beltrami au mépris de ses propres intérêts puisqu’il allait
perdre, de ce coup, une intendance qui devait lui rapporter pas mal d’argent...
Mes paroles ont eu l’air de lui remonter le moral, d’autant que les autres avaient
plutôt tendance à s’écarter de lui. Nous sommes partis ensemble...
Esteban
s’interrompit pour boire un coup.
– Ensuite ?
fit Démétrios.
– On
est allés dans une taverne de mariniers au bord du fleuve et j’ai commandé à
boire. Il a vidé deux gobelets coup sur coup comme quelqu’un qui en a grand
besoin. Naturellement, je l’ai resservi tout en essayant de le faire parler
mais il ne me répondait que par monosyllabes et il y avait de la peur dans son
regard fixé dans le vague par-dessus mon épaule. Il s’était remis à boire, plus
lentement. Alors j’ai commandé du pain, du jambon, du fromage en disant que ce
n’était pas bon de boire avec un estomac vide et là encore il a été d’accord.
On s’est mis à manger. J’avais sorti mon couteau et lui le sien. C’était un couteau
à peu près de la forme de celui que vous m’aviez confié...
– Celui
du meurtrier !
– Oui,
mais celui-là avait un manche de bois au lieu d’un manche de corne. On a bu
encore et j’ai feint d’être pris de boisson.
– Et
lui ?
– C’est
un ancien muletier : il tient bien le coup mais, tout de même, il
commençait à vaciller un peu et j’ai pensé que c’était le moment. Je m’étais
mis à faire de grands gestes et le couteau est tombé de la table. Je me suis
baissé pour le ramasser et là, je l’ai échangé contre l’autre couteau. Il ne s’est
pas aperçu tout de suite de la substitution. Et puis, soudain, il a
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