Fiora et le Magnifique
ancien mur
tassé sous la terre s’étendait derrière la maison à l’ombre d’une vieille vigne
encore vigoureuse. Tel était le logis que Démétrios tenait de la générosité de
Lorenzo.
– En
tant que son médecin, je possède aussi une chambre au palais de la via Larga
comme dans ses autres résidences mais il sait que j’aime vivre libre et à l’écart.
C’est pourquoi il m’a donné cette maison. Elle n’est ni assez grande ni assez belle
pour exciter les convoitises mais je m’y trouve bien et j’y travaille dans une
tranquillité d’autant plus grande que les gens d’ici se sont hâtés de me faire
une réputation de sorcellerie et se tiennent à l’écart. Il est vrai qu’au bout
de mon jardin passe le chemin qui mène à Fontelucente...
Sur ce
sujet, Fiora n’avait pas besoin d’explications. Comme tous les habitants de la
région, elle savait que les grottes de Fontelucente abritaient une communauté
de sorciers aussi célèbre que celle de Norcia, près de Spolète. Jamais Beltrami
n’avait permis à sa fille de diriger ses promenades dans cette direction
dangereuse. Elle ne connaissait donc pas la maison de Démétrios bien qu’elle ne
fût pas éloignée de la villa Beltrami.
Un
homme ouvrit devant les arrivants la lourde porte à gros clous de fer rouillé
qui fermait la maison. Il était aussi court et trapu que Démétrios était long
et maigre. Il avait un visage carré, au nez cassé, à l’expression hardie. Le
cou épais, les épaules puissantes, la bouche forte, il était beaucoup plus
jeune que son maître et pouvait avoir trente-cinq ans. Des cheveux, noirs,
raides et rétifs, complétaient le personnage qui les accueillit avec une joie
aussi évidente que son soulagement :
– J’ai
cru que tu ne reviendrais jamais, maître ! fit l’homme. Sa Seigneurie de
Médicis t’a fait demander par deux fois...
– Qu’as-tu
répondu ?
– Ce
que tu m’avais dit : que tu te rendais à Prato afin d’y faire toucher à la
Sainte Ceinture un baume que tu as composé pour les reins douloureux de madonna
Lucrezia, la mère de Sa Seigneurie...
– Et
la seconde fois ?
– Que
tu n’étais pas encore revenu...
– C’est
parfait, approuva Démétrios avec un demi-sourire. Fiora, ajouta-t-il en posant
une main sur l’épaule de son serviteur, je te présente Esteban. Il vient de
Tolède, en Espagne. C’est là que je l’ai rencontré il y a quelques années. Il
est à la fois mon assistant, mon majordome, mon jardinier, l’exécuteur de mes
volontés et, parfois aussi, mes yeux et mes oreilles... Tu ne le connais pas
mais il te connaît bien. C’est lui qui, certaine nuit d’hiver, a vu quelques
personnes se rendre au couvent voisin et en ressortir... dans un ordre
différent. Avec Samia, une esclave égyptienne que m’a prêtée le palais Médicis
et qui est fort heureusement muette, il compose tout le domestique de cette
maison.
Esteban
salua avec une souplesse que l’on n’eût pas attendue d’un homme si lourdement
charpenté puis frappa dans ses mains. Une grande fille à la peau foncée, vêtue
d’une tunique bleu sombre, retenue serrée aux hanches par une écharpe rouge
vif, apparut et s’inclina :
– Voici
donna Fiora, lui dit le Grec. Tu dois la servir aussi bien que moi-même. Elle
est épuisée de fatigue, elle est sale et elle a faim. Tu sais ce que tu dois
faire. Tu brûleras les vêtements qu’elle porte sur elle et tu soigneras comme
je te l’ai appris les meurtrissures qu’elle a sur le corps. Quant à toi, Fiora,
il faut te reposer et, avant tout, te vider l’esprit. Dors aussi longtemps que
tu en auras envie. Il n’y a pas de meilleur remède.
Après
s’être inclinée de nouveau, Samia vint prendre la jeune femme par la main.
Ensemble, elles traversèrent la pièce d’entrée qui était une grande salle
blanchie à la chaux sans autre ornement que des voûtes d’arêtes peintes en
rouge et bleu. Le sol était fait de petites briques et, aux murs, des harnais
de chevaux, des brides, des licols, des fouets étaient accrochés au-dessus d’outils
de jardinage posés à terre... Au bout de cette salle, qui avait dû être
autrefois une salle de garde, une porte donnait sur une petite cour par où l’on
entrait dans l’habitation proprement dite. Samia dirigea sa compagne vers la
grande cuisine embaumée par le ragoût qui cuisait dans une marmite au-dessus du
feu et par les chapelets d’oignons, d’aulx, de
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