Fiora et le Magnifique
jalouse acharnée à la perte d’une rivale,
garçon amoureux dédaigné par sa belle ou même noble dame, réduite par ses
passions à chercher d’infâmes secours royalement payés. Ceux-là puisaient dans
leur crainte, leur haine ou leur amour, le courage d’aller vers les sorciers
dont certains étaient plus riches qu’ils n’en avaient l’air.
A
vivre ainsi, au sein de la nature, ces gens avaient découvert bien des secrets.
S’y ajoutaient les recettes abracadabrantes, les compositions redoutables ou
répugnantes, les philtres et les charmes qu’ils vendaient à leur clientèle.
Parfois, leurs recettes se révélaient efficaces et le malade guérissait. Alors,
la reconnaissance leur tenait lieu de sauvegarde presque autant que la crainte.
A des
dates précises mais le plus souvent à la lune nouvelle, les sorciers se
réunissaient avec des confrères disséminés dans la région et même avec d’autres,
venus de beaucoup plus loin pour festoyer et vénérer leur protecteur, le dieu
de ténèbres, leur prince du mal, celui dont les humbles n’osaient pas prononcer
le nom et que les gens d’Église nommaient Satan en se signant. Mais, par
prudence, le lieu de réunion changeait chaque fois et le mot était donné par
des messages d’apparence innocente qui couraient les chemins et les marchés.
Ainsi, Démétrios, descendu ce matin-là en ville, l’avait reçu de Bernardino qui
mendiait, comme d’habitude, devant le Duomo et qui le lui avait soufflé contre
une belle pièce d’argent.
Cette
fois, il s’agissait d’un champ, au flanc du mont Ceceri, adossé à un petit bois
et enclos, loin de toute habitation, dans les vieux murs écroulés d’un ancien
prieuré abandonné..
Il
était près de minuit quand Démétrios, Fiora et Esteban arrivèrent aux abords du
champ. Par prudence, ils étaient venus à pied et par un chemin difficile qui
serpentait entre les buissons et des quartiers de roche. Le Grec allait d’un
pas sûr, en homme qui sait où il va. Il s’arrêta enfin derrière l’un des murs
ruinés qui formait à cet endroit une petite excavation couronnée d’une épaisse
végétation.
– D’ici,
nous verrons tout sans risquer d’être vus. Je connais bien cet endroit où il m’est
arrivé de venir méditer...
Il fit
asseoir Fiora sur une grosse pierre et lui montra comment, en écartant
légèrement les branches d’un épais cornouiller, doublé d’un roncier, elle
aurait une vue satisfaisante. Par surcroît de précautions, la jeune femme,
comme ses compagnons, portait le masque noir et les gants épais préconisés par
Démétrios. Ils étaient ainsi invisibles et suffisamment protégés contre les
épines des ronces. En face d’elle, le champ formait un large espace découvert
au milieu des ruines d’anciens bâtiments conventuels, une grande nappe sombre
entre des formes incertaines. Aucun bruit ne se faisait entendre sauf, venu du
bosquet voisin, le ululement d’une chouette qui résonna par trois fois et il y
eut, dans le champ, comme une sorte de grand soupir.
Soudain,
un homme sortit des ruines, portant une torche à l’aide de laquelle il alluma
rapidement deux bûchers préparés à droite et à gauche du pré dont cette partie
s’éclaira d’un seul coup comme une scène de théâtre découvrant un effrayant
décor. Entre les deux bûchers se dressait une table grossière faite de deux
pierres et d’une dalle disposées devant un petit tertre habillé de lierre qui
supportait une statue peinte d’une manière si réaliste que
Fiora
sentit ses tempes se resserrer et ses cheveux se dresser sur sa tête.
C’était,
sur des pattes de bouc repliées en tailleur, un corps d’homme nu surmonté d’une
tête hideuse. Les oreilles pointues, les longues cornes enroulées et la barbe
filandreuse étaient d’un bouc mais le long nez crochu, la bouche rouge et
grimaçante, les yeux luisants blancs et rouges étaient presque humains. Entre
les cornes, trois chandelles étaient posées que l’homme alluma cependant que,
dans l’une de ses mains griffues, la statue tenait une faux et dans l’autre une
coupe dorée..,
– Le
diable ! souffla Fiora qui, machinalement, se signa. Mais déjà Démétrios
lui appuyait sur la bouche une main péremptoire :
– Plus
un mot ! chuchota-t-il à son oreille. Tu risques de nous faire prendre...
En
effet, la mise à feu des bûchers avait révélé, autour du hideux simulacre, une
rangée de fantômes enveloppés
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