Fiora et le Magnifique
quoi il ne se trompait pas de beaucoup.
Le rapprochement de ces deux hommes lui parut des plus inquiétants...
Jouant
des coudes pour se dégager de la foule, il alla rechercher sa mule au
chargement de laquelle il ajouta une petite jarre d’huile d’olive, alla boire
son coup de vin habituel pour ne pas soulever de curiosité et quitta la ville
au plus vite mais non sans remarquer le rassemblement qui se formait déjà
devant le palais des Médicis et faisait un bruit affreux car tout le monde
parlait en même temps et en faisant force gestes.
En
rentrant à Fiesole, il trouva Démétrios dans son cabinet, occupé à emballer
soigneusement quelques livres dans des morceaux d’étoffe et à les ranger dans
un petit coffre posé sur un escabeau. A un coin de la table, sur un morceau de
daim, étaient alignés, dans un ordre parfait et tout brillants d’un récent
astiquage, les instruments de chirurgie, lancettes, scalpels, trépans,
aiguilles droites ou courbes, pinces et autres qui avaient suivi le médecin
depuis Byzance et qu’il avait réussi à conserver quelles qu’eussent été les
vicissitudes de ses longues pérégrinations. Le vieux sac de cuir qui les
contenait habituellement était posé à côté et tout ouvert.
Esteban
embrassa d’un regard rapide ces préparatifs :
– Maître,
dit-il, est-ce que tu t’apprêtes à partir ?
– Il
faut toujours être prêt à partir, mon garçon. Mais toi, dis-moi pourquoi tu es
revenu plus vite que d’habitude ? Je vois à ta mine que tu as quelque
chose à raconter.
– C’est
vrai et c’est vrai aussi que je suis inquiet.
Le
Castillan n’était pas l’homme des grandes narrations. En quelques phrases, il
eut rapporté ce qu’il avait vu et entendu, tout en guettant sur le visage du
Grec l’effet de ses paroles. Mais Démétrios, qui avait fini de remplir son
coffre, se contenta de le fermer et de dire :
– Ah !
Puis s’approchant
de ses instruments, il les essuya soigneusement l’un après l’autre puis les
roula dans la peau de daim qu’il introduisit ensuite dans son sac. Esteban le
regardait faire en silence, devinant qu’il réfléchissait. Au bout d’un moment,
Démétrios leva les yeux sur lui :
– Va
me chercher donna Fiora ! Elle est au jardin en train de donner à manger
aux pigeons...
Fiora
entra un instant plus tard, mince silhouette noire et blanche, nette et
conventionnelle. L’échappée du couvent en bure blanche et sandales de corde, la
jeune Grecque en tunique pourpre, le page en pourpoint vert avaient disparu
pour laisser place à cette jeune femme en deuil, aux nattes sages, et Démétrios
se surprit à le regretter mais les grands yeux gris pâle étaient toujours les
mêmes et le Grec savait qu’ils pouvaient refléter tous les orages du ciel et
que cette apparence élégante et sereine cachait les flammes d’un cœur ardent et
d’un caractère fier et courageux. Tout comme si elle eût été en visite,
Léonarde l’avait accompagnée et se tenait près de la porte, les mains nouées
sur son giron comme il convenait à la suivante d’une noble dame. Démétrios eut
la tentation de la prier de les laisser seuls mais pensa qu’en agissant ainsi
il rejoindrait le terrain des conventions sociales qui l’agaçaient si fort. En
outre, Léonarde était désormais embarquée sur cette galère, battue des vents et
sans cesse menacée, qui était celle de son élève. Il était inutile de lui
cacher quoi que ce soit, d’autant qu’elle serait très vite mise au courant. Le
Castillan était entré derrière elle...
– Esteban
vient de rentrer avec des nouvelles que je juge inquiétantes, fit Démétrios. Il
faut que tu les entendes.
Elle
les entendit et n’en parut pas autrement troublée. Seule, la mention du moine
espagnol lui fit froncer les sourcils.
– Encore
cet homme ! soupira-t-elle. Comment se fait-il qu’il s’attache à ce point
à la cause des Pazzi ? Il semble vouloir les défendre envers et contre
tout...
– S’il
est vraiment l’envoyé secret du pape Sixte IV, cela s’explique car il est
certainement aussi le mandataire de son favori, Francesco Pazzi... Je croyais
que tu avais compris cela ?
– Sans
doute ! Mais il est l’un de ces prêtres fanatiques dont le diable est l’obsession
et qui voient des sorciers partout. Or, la milice, l’autre nuit, à dû trouver
Hieronyma dans l’état où nous l’avons laissée : nue, étendue sur un autel
satanique,
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