Fiora et le Magnifique
manche
quand, sur un dernier signe de croix, Fiora se releva enfin. A pas comptés,
elle remonta lentement, lentement vers le portail puis, soudain, obliqua pour
rejoindre celui qui l’attendait dans l’ombre d’un pilier.
Dès qu’elle
fut auprès de lui, Selongey la saisit par la main et l’entraîna vers la
chapelle la plus proche qui était aussi celle où il y avait le moins de
lumière.
– Cette
fille qui nous suit ? demanda sèchement le Bourguignon sans se soucier d’une
quelconque formule de politesse. Suffoquée de tant d’impertinence, Fiora
commença par libérer sa main :
– C’est
Khatoun, mon esclave. Et ne comptez pas que je l’éloigne : elle ne me
quitte jamais !
– Une
esclave ? Vous en êtes encore là et vous me dites cela tranquillement dans
une église ? Quel genre de chrétiens êtes-vous donc ?
– Je
ne pense pas que vous ayez des leçons à nous donner sur ce chapitre. Nos
esclaves sont, paraît-il, mieux traités que vos domestiques ou vos paysans.
Comme nous les payons cher nous les soignons bien !
– Vous
êtes véritablement des gens incroyables et...
– Brisons-là,
messire ! Vous ne m’avez pas fait venir ici, ce matin, pour disputer de
nos us et coutumes ? C’est un chapitre sur lequel je ne souffre pas
critiques.
– Pardonnez-moi !
Je ne désirais pas vous froisser. Ce que je souhaitais, c’était d’abord vous
poser une question, si vous le permettez.
– Tout
dépendra de la question, dit Fiora, toujours sur la défensive. Elle se tenait
très droite devant son interlocuteur, son regard fier planté dans celui de
Philippe qui soudain sourit et murmura d’une voix changée :
– Vous
avez des yeux transparents. Il doit être possible d’y lire les moindres
mouvements de votre âme...
– Cela
non plus ne méritait pas un dérangement... Alors, cette question ? Si, du
moins vous en avez réellement une...
– J’en
ai une. On m’a dit que votre mère n’était pas d’ici mais une noble dame
étrangère.
Je
savais que les langues marchaient vite ici, protesta
Fiora,
mais j’ignorais que ce fût à ce point ! Vous venez tout juste d’arriver.
– Et
je vais bientôt repartir mais il faut si peu de temps pour s’intéresser à
quelqu’un ! ... au point de chercher à tout savoir de ce qui le touche. Si
je vous demande le nom de votre mère c’est à cause de cette ressemblance que
vous avez avec l’un de mes souvenirs de jeunesse. Lorsque j’avais une douzaine
d’années, j’étais page de monseigneur le comte de Charolais devenu depuis duc
de Bourgogne.
– Je
vous en prie, continuez !
– Monseigneur
Charles avait alors pour écuyer un jeune homme très beau... et très triste. Il
souriait rarement et c’était grand dommage car son sourire était charmant...
tout à fait comme le vôtre. Je n’ai jamais oublié ce garçon qui, d’ailleurs, a
disparu brusquement. Il s’appelait Jean de Brévailles, de bonne noblesse
bourguignonne mais de peu de fortune. Vous lui ressemblez d’étrange façon,
autant qu’une jeune fille peut ressembler à un garçon.
– Et
vous avez pensé, apprenant mon histoire, que ce jeune homme était peut-être de
ma famille ?
– En
effet. C’est pourquoi je vous ai demandé le nom de votre mère au risque de vous
paraître indiscret.
– Je
vous le dirais volontiers si seulement je le savais mais mon père, soucieux
sans doute de préserver ses souvenirs... et peut-être l’honneur d’une famille
puisque je suis née hors mariage, n’a jamais voulu me le dire. Je ne sais qu’une
chose : elle s’appelait Marie.
Le
silence si particulier des églises vides dont les murs opposent autant de
frontières infranchissables aux bruits du dehors, silence fait de la majesté
divine et du vide énorme qu’abritent les voûtes où le moindre bruit s’amplifie
et résonne, ce silence s’établit entre les deux jeunes gens. Reprise par l’émotion
éprouvée la veille, Fiora revoyait le doux visage d’une jeune femme blonde,
Philippe, lui, regardait Fiora.
De l’autre
côté du pilier où elle était restée par discrétion, Khatoun toussa et l’église
parut tousser après elle. Fiora, tirée de sa songerie, frissonna et, resserrant
autour d’elle les plis de son manteau, leva les yeux vers le chevalier et vit
qu’il la regardait toujours sans qu’il fût possible de deviner seulement sa
pensée. Son visage brun semblait figé et dans le pli sarcastique de sa
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