Fiora et le Magnifique
stupéfaite, en prononçant le nom, de ne lui plus trouver de couleur ni de
résonance. Ce qu’elle éprouvait naguère pour le jeune Médicis venait de s’effacer
comme un rêve dont, au matin, on a peine à retrouver le souvenir.
– Non,
dit Khatoun, tu as seulement songé à l’aimer. Mais celui qui vient de te
quitter, il t’emporte avec lui... et tu le sais bien.
Fiora
ne répondit pas et cacha son visage dans ses mains comme pour mieux s’absorber
dans sa prière mais c’était seulement pour ne pas rencontrer, à cet instant, le
regard de cette fille venue du fin fond de l’Asie et qui lui parlait de
certitude alors qu’elle-même n’en était encore qu’à l’éblouissement.
CHAPITRE III LES SURPRISES
DE L’AMOUR
Le
lendemain matin, Francesco Beltrami, accompagné de sa fille, se dirigeait vers
la boutique du libraire Vespasiano Bisticci. Se tenant par le bras, tous deux
allaient d’un pas vif car la température avait encore baissé et il faisait
presque froid. Cela n’entamait pas le plaisir de Fiora qui adorait se rendre
avec son père – il n’eût pas été convenable qu’elle y allât seule – chez le
libraire où se rencontrait l’élite intellectuelle de la ville. Elle considérait
cela comme un honneur et son goût des livres trouvait là ample matière à, s’enrichir.
A
cette heure de la matinée, la via Larga où Bisticci tenait boutique était très
animée. Des ménagères se rendaient au marché, un panier à chaque bras, des
dames, la tête couverte d’un voile ou d’un capuchon, sortaient d’une messe à
San Lorenzo, l’église voisine du palais Médicis qu’un cloître séparait de la
Bibliothèque laurentienne, un chevrier menait son troupeau, des maçons
charriaient des pierres sur une charrette faite de grosses branches assemblées,
quelques bourgeois passaient en longues robes de serge noire et bonnet à ruban
et, dans le recoin d’une maison, des gamins jouaient à la toupie en poussant
des cris aigus.
Les
saluts, empressés, respectueux ou amicaux jalonnaient le chemin de Francesco
Beltrami. Il y répondait avec affabilité et courtoisie, heureux de mesurer à
cette aune l’ampleur de sa réputation. Comme le père et la fille allaient
atteindre la maison de Bisticci, une troupe de cochons déboucha dans la rue et
manqua les jeter à terre tous les deux. Un jeune garçon courait derrière eux.
Il devint très rouge en reconnaissant le riche négociant et se jeta à genoux au
milieu de la rue :
– Oh
pardon, messer Beltrami, mille fois pardon !
Il
semblait terrifié et, pour un peu, se serait prosterné :
– Mais,
malheureux, dit Francesco en riant, si tu restes ainsi à genoux dans le
ruisseau tes cochons vont se perdre. Cours donc après eux, petit imbécile, au
lieu de me faire des excuses ! Et tiens ! prends ceci au cas où tu ne
les retrouverais pas tous. Il ne faut pas que ton maître te batte...
A l’enfant
ébloui il tendait un florin d’or puis entraîna Fiora tandis que le petit
porcher, tout joyeux, prenait ses jambes à son cou et déguerpissait.
– C’est
à toi que l’on devrait donner le surnom de Magnifique, dit Fiora attendrie. Tu
es l’homme le plus généreux de la terre.
– Parce
que j’ai donné un florin ? Mais le vrai Magnifique en aurait donné deux.
Les choses sont donc bien comme elles sont.
Un
instant plus tard, ils atteignaient la boutique du libraire.
Vespasiano
Bisticci était à Florence le grand spécialiste des ouvrages antiques et ses
correspondants fouillaient sans relâche les cités de Grèce et d’Orient à la
recherche de manuscrits rares. Lui-même se présentait sous les traits d’un
homme d’une soixantaine d’années, grand et majestueux, très aimable et très
érudit. Ses traits étaient nets, bien marqués par un réseau de rides mais ses
yeux sombres pétillaient de jeunesse et sa voix était d’une grande douceur.
Il
quitta le personnage avec lequel il s’entretenait à l’entrée des Beltrami et
vint vers eux avec empressement.
– Sois
le bienvenu, ser Francesco, et toi aussi Fioretta ! J’avoue que si j’espérais
un peu la visite de ton père, je ne pensais pas que ta présence la rendrait
encore plus agréable. Tu es l’image même du printemps...
– Tu
vas me la rendre vaniteuse, protesta Francesco. Je viens voir si tu as terminé
cette copie des Commentaires que je t’ai demandée.
– Presque.
J’ai mis dessus mes meilleurs
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