Fiora et le Magnifique
dès
demain, ou pire encore en l’accusant elle aussi de sorcellerie...
On
arrivait. La silhouette écrasante du Vieux Palais avec ses bossages de pierre
brute, son chemin de ronde et sa haute et mince tour d’Arnolfo qui évoquait
vaguement la forme d’un lys encore en bouton se dressa devant celles qu’il
fallait bien appeler des prisonnières. Des valets en livrées vertes ouvrirent
les portes et l’on s’engagea dans l’étroit escalier qui menait à la salle du Conseil
où, tout à l’heure, se jouerait le destin de Fiora et de ceux qui lui
demeuraient fidèles.
En
franchissant la porte basse de la grande salle, Léonarde se signa et Fiora,
presque machinalement, l’imita. A présent, il fallait aller jusqu’au bout. Mais
où était le bout ?
Deuxième partie LE CAUCHEMAR
CHAPITRE VII LE PAIN AMER
La
cellule était triste, grise et presque nue : un matelas de paille posé sur
deux X de bois avec une couverture trouée, un crucifix au mur dont la blancheur
initiale avait subi les atteintes de l’humidité, un escabeau pour s’asseoir, un
autre supportant une cuvette et deux serviettes rugueuses, enfin, sous le lit,
un vase de nuit en composaient tout le décor. Cela ressemblait tellement à une
prison qu’une fois entrée Fiora se retourna pour protester mais, déjà, la porte
percée d’un judas grillé se refermait et elle put entendre la clef tourner dans
la serrure. Qu’est-ce que cela signifiait ?
La
séance dans la grande salle de la Seigneurie avait été des plus houleuses.
Devant les prieurs et le gonfalonier réunis en une espèce de tribunal,
Hieronyma avait répété son accusation, soutenue par Marino qui, toujours sans
oser lever les yeux, rapporta ce qu’il avait vu un lugubre jour de décembre à
Dijon. Mais à sa manière fielleuse : Francesco Beltrami aurait tué l’époux
de Marie de Brévailles pour lui enlever l’enfant. Léonarde, alors, s’en mêla.
Elle traça de Regnault du Hamel un portrait hallucinant de méchanceté qui
magnifiait d’autant l’image rayonnante des jeunes amants maudits. Elle dit l’émotion
de Francesco Beltrami, sa colère devant le meurtre froidement décidé d’un
enfant de quelques jours. Elle parla du vieux prêtre, du baptême de Fiora dans
une
chambre
de la Croix d’Or et de tous les soins pris par le négociant florentin pour
garantir à cette petite fille qu’il avait aimée immédiatement un avenir comme
on devrait pouvoir en assurer à tout enfant arrivant dans un monde trop dur
pour leur faiblesse. Il avait confiance en ce Marino qui, à présent, le
trahissait vilainement en dépit des bienfaits reçus, pour une femme qui, en
descendant jusqu’à lui, se déshonorait. Oui, Francesco Beltrami avait voulu que
cette enfant de son cœur devînt sa fille aux yeux de tous et, en la déclarant
comme telle, il n’avait qu’à peine menti : n’était-elle pas réellement l’enfant
bâtarde d’une dame de noble sang ? ... Enfin, en fine mouche qu’elle
était, Léonarde Mercet – c’était la première fois que Fiora entendait le nom
entier de sa gouvernante – avait achevé sa harangue en appelant sur le
serviteur infidèle toutes les foudres du Seigneur et les pires malédictions de
l’au-delà. Elle lui avait prédit des nuits sans sommeil, les douze plaies d’Egypte
s’abattant sur lui-même et sur ses biens et, pour conclure, la damnation à la
fin de ses jours – avec la satisfaction, purement subjective d’ailleurs, de
voir le misérable se recroqueviller sous sa parole et perdre contenance jusqu’à
se laisser tomber à genoux.
Lorenzo
de Médicis s’en était mêlé à son tour, plaidant chaleureusement pour son ami
défunt et pour la jeunesse innocente de son enfant élue. Il avait flétri la
rapacité de la dame Pazzi et cet étrange comportement qui, après une demande en
mariage refusée, lui faisait réclamer hautement justice d’un fait dont elle n’avait
pas eu à souffrir. Malheureusement, il avait commis la faute d’englober tous
les Pazzi qu’il détestait dans le même anathème et Petrucci l’avait rappelé
aigrement à plus de modération.
Pour
la Seigneurie qui comptait certes beaucoup d’amis des Médicis mais aussi
quelques-uns de leurs ennemis, la situation était confuse et difficile à juger.
D’autant que le clergé s’en mêlait en la personne de l’abbé du couvent San
Marco
où, cependant, Lorenzo aimait à faire retraite dans l’une des
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