Fiora et le Magnifique
cellules
magnifiées par les fresques de l’Angelico mais qui, en bon dominicain, se
voulait le grand pourfendeur de Satan et de ses créatures. Or, pour ce moine
intransigeant, l’enfant née d’amours incestueuses et adultères ne pouvait être
qu’une créature du démon qu’aucun baptême ne pouvait rédimer, l’eau lustrale ne
constituant alors qu’un sacrilège de plus.
Sa
voix tonnante impressionna les « magnifiques seigneurs » dont
quelques-uns étaient des âmes simples, et Fiora, un terrible instant, se
demanda si l’on n’allait pas préparer pour elle un bûcher devant le Vieux
Palais... D’autant qu’encouragée par une aide inattendue Hieronyma repartit au
combat plus venimeuse que jamais, suppliant les prieurs de ne pas permettre qu’un
tel scandale s’étalât plus longtemps sous le ciel de Florence qui ne pouvait en
retirer que périls et malédictions...
C’était
plus que n’en pouvait endurer Fiora. Emportée par la colère, elle s’était
dressée devant son ennemie que, d’une voix glacée, elle avait hautement accusée
d’avoir fait assassiner son cousin et de vouloir sa perte à elle afin de s’assurer
le fabuleux héritage.
Alors
ce fut le tumulte, le vacarme, le plus ahurissant tohu-bohu. On s’injuria entre
tenants de l’une ou l’autre cause et l’on en vint presque aux mains. Il fallut
que Petrucci fît monter la garde pour ramener un peu de calme dans une salle
qui, à dire vrai, en avait vu bien d’autres depuis les temps héroïques des
Guelfes et des Gibelins. A Florence, on aimait la bagarre presque autant que
les fêtes, les cavalcades, les grandes processions et les beaux-arts. C’était une
façon comme une autre de se prouver qu’en dépit de la puissance des Médicis on
était encore en république.
Quand
on retrouva un semblant de silence, les prieurs se décidèrent enfin, après en
avoir rapidement délibéré avec Lorenzo. Dans l’impossibilité où ils se
trouvaient de trancher une situation qui ne s’était encore jamais présentée à
leur sagacité, ils décidèrent que l’ensemble des biens de feu Francesco
Beltrami serait mis sous séquestre en attendant qu’intervienne un jugement
définitif. D’autre part, un administrateur dont le choix était laissé à la
banque Médicis allait être nommé pour assurer la continuation des affaires du
négociant défunt, ceci afin de ne pas réduire au chômage ses nombreux employés.
Quant à Fiora, qui avait accusé sans preuve, elle était passible de prison
ainsi que le lui fit comprendre le froncement de sourcils de Lorenzo. En dépit
de sa mise en garde, elle avait été trop loin, et le Magnifique, avec toute son
influence, aurait peine à la tirer de là si les prieurs décidaient d’appliquer
la loi dans toute sa rigueur. Il y eut alors un instant de flottement mais qui
ne dura guère. L’abbé de San Marco revint aussitôt à la charge, poussant devant
lui un moine qui portait comme lui la robe blanche, le scapulaire noir et la
croix d’argent des dominicains :
– Plaise
à vos Seigneuries, nasilla-t-il, que je leur présente Fray Ignacio Ortega qui
vient de notre maison de Valladolid en Castille et qui s’est imposé de voyager
à travers la chrétienté, comme jadis notre saint fondateur, pour prêcher l’Évangile
et traquer les pièges du Malin. Fray Ignacio, qui est orfèvre en matière de
diablerie, souhaite vous proposer une solution qui pourrait agréer à tous...
Le
nouveau venu se présentait comme un homme d’âge moyen, grand et un peu courbé.
Il était presque chauve et son haut front en forme de dôme surplombait l’arche
basse de ses sourcils. Il avait le nez puissant, la bouche sévère et des yeux
dont, sous le repli de la paupière, il était impossible de saisir le regard. Sa
présence avait quelque chose de pesant et de sinistre que tous ressentirent
plus ou moins. Invité à s’exprimer, il s’avança, les mains cachées au fond de
ses larges manches blanches, salua en homme qui se sait supérieur à ceux
auxquels il s’adresse puis attendit.
— Soyez
donc doublement le bienvenu, fray Ignacio, dit le plus âgé des prieurs qui
faisait office de président. Nous écoutons Votre Révérence avec respect.
Le
nouveau venu regarda tour à tour Hieronyma puis Fiora sur le visage de laquelle
il s’attarda un instant puis, dans un toscan aisé mais que sa voix âpre rendait
curieusement rocailleux, il dit :
– Ces
deux femmes se haïssent trop
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