Fiora et le Pape
le dois à notre chère Léonarde.
– Ne
me parle pas d’elle, sinon je vais me sentir malade de honte !
– Tu
as raison, j’ai eu tort d’en parler. Quant à la honte, c’est un mot stupide,
même si tu n’aimes pas vraiment Lorenzo. Ce que tu aimes en lui, c’est d’abord
l’amour qu’il te donne, je sais qu’il y est une sorte de... virtuose. Mais
aussi sa légende et, tout au fond de toi, il y a toujours une petite Florentine
pour qui le Magnifique emplissait l’horizon. Sans le savoir, tu étais plus ou
moins amoureuse de lui...
– Non.
C’était Giuliano que j’aimais.
– Que
tu croyais aimer ! La preuve en est que tu l’as chassé très vite de ton
esprit. Mais tu oublies qu’à ce fameux bal, où nous nous sommes rencontrés pour
la première fois, je t’ai vue danser avec Lorenzo et, si j’ai jamais vu visage
illuminé de joie, c’était bien le tien.
– C’est
vrai, j’étais très heureuse... très fière surtout !
– Comme
tu es fière, aujourd’hui, de l’avoir enchaîné à tes pieds. Il est venu à toi
comme un pauvre qui demande la charité, les mains vides, nues et suppliantes,
lui qui a toute puissance, et j’ai tout de suite compris que, ces mains
tendues, tu allais les combler de richesses. Alors que tu l’aurais repoussé s’il
était venu en prince et en maître. J’ai raison ?
Toute
colère envolée, Fiora se mit à rire.
– Tu
as trop souvent raison, Démétrios ! Que vais-je faire, à présent ? Il
faudrait que je reparte...
– Pas
maintenant. Tu n’en as pas vraiment envie, d’ailleurs. Laisse-toi aimer ! C’est
le meilleur des remèdes, non seulement pour un corps, mais aussi pour un cœur
qui vient de beaucoup souffrir. Cependant...
Il
prit un temps et Fiora vit qu’une inquiétude lui venait à l’esprit.
– Cependant ?
– Avez-vous
beaucoup parlé, tous les deux ? Il a dû te poser des questions...
La
jeune femme devint pourpre et, se détournant, alla examiner le livre posé sur
le pupitre.
– Nous...
nous n’avons pas parlé du tout !
– Félicitations !
fit Démétrios qui ne put s’empêcher de rire devant l’air confus de ce jeune visage.
Et si tu veux le savoir, j’en suis heureux, mais vous parlerez. Alors,
écoute-moi bien et, surtout, ne lui dis pas que l’on t’a mariée à un Pazzi !
– Carlo
a tout fait pour m’aider.
– Sans
doute, mais Lorenzo est trop profondément blessé pour supporter l’idée que tu
portes ce nom-là ! Si grand que soit son désir, il s’écarterait de toi
avec horreur. Et les conséquences pourraient être dramatiques. Tu m’as bien
compris ?
– Sois
sans crainte ! Je ne dirai rien.
D’un
doigt précautionneux, elle tourna quelques-unes des pages craquantes du
manuscrit qu’elle ne pouvait pas lire, se contentant d’admirer la beauté un peu
mystérieuse des caractères.
– C’est
une étrange chose que le destin, soupira-t-elle. Le mien semble se complaire à
me faire contracter des mariages que je dois cacher à Lorenzo. Souviens-toi !
– Tu
as raison, mais la situation est différente. Ce mariage-là, tu ferais aussi
bien de l’oublier. Il ne compte pas, parce que...
– Parce
que ?
– Rien.
Essaie de ne plus y penser ! Pense seulement à l’homme qui viendra ce soir
chercher auprès de toi le refuge dont il a tant besoin.
Ce
soir-là, pourtant, Lorenzo ne vint pas. Il envoya un billet par Esteban qui
était descendu en ville prendre le vent. Les funérailles de Giuliano étaient
fixées au lendemain et Lorenzo veillerait le jeune mort pour cette dernière
nuit.
Les
nouvelles que rapporta le Castillan restaient dramatiques. La traque des Pazzi
et de leurs parents et alliés continuait. On en avait pris deux dans la cité
dont l’un, déguisé en femme, se cachait dans l’église Santa Croce, trois autres
avaient été arrêtés sur des chemins de campagne. Quant au vieux Jacopo que les
cavaliers de la Seigneurie avaient rattrapé sur la route d’Imola, il devait
être en route pour Florence dans une litière fermée. On le hisserait sur le
balcon de fer à la minute où Giuliano serait porté en terre.
D’autres
encore avaient été précipités de là-haut, pendus ou abandonnés au peuple et,
devant le Vieux Palais, le nombre des morts plus ou moins dépecés se montait à
soixante-dix. Mais il n’y avait que des hommes, Lorenzo ayant formellement
interdit de molester les femmes qui, en fait, n’avaient pas
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