Fiora et le Pape
chandelier sur la rampe de l’escalier. Lorenzo montait toujours. A
présent elle pouvait entendre son souffle, elle pouvait voir, sous le pourpoint
noir et la chemise ouverte laissant apparaître la blancheur d’un pansement, se
soulever sa poitrine maigre.
Quand
il fut devant elle, la dominant de sa haute taille, elle ne fit pas un geste,
ne dit pas un mot, mais leva la tête vers lui, offrant seulement ses lèvres
entrouvertes sur lesquelles, doucement, en fermant les yeux comme l’on fait
pour mieux savourer un plaisir rare et longtemps attendu, il posa les siennes
sans la toucher autrement. Ce fut un baiser long mais léger, délicat, presque
timide, comme s’il buvait au calice d’une fleur...
Puis
Fiora sentit les mains de Lorenzo sur ses épaules, et ces mains tremblaient.
Alors, elle le repoussa avec douceur, mais lui sourit tendrement en voyant son
visage se crisper de douleur. Elle prit l’une de ses mains, enleva le
chandelier de la rampe et marcha vers la porte de sa chambre.
– Viens !
dit-elle seulement.
Tandis
que d’un geste machinal, il fermait le vantail, Fiora alla placer la lumière
sur un coffre et, l’une après l’autre, elle souffla les bougies. La chambre ne
fut plus éclairée que par la lueur de la veilleuse qui dorait à peine l’intérieur
des courtines blanches. Immobile, Lorenzo suivait des yeux chacun des gestes de
la jeune femme. Alors, elle laissa tomber à terre le manteau sans manches,
délia le ruban de sa chemise qui glissa jusqu’à ses chevilles. L’instant d’après,
elle était dans ses bras et il l’emportait sur le lit où il se laissa tomber
avec elle...
Ils
firent l’amour en silence parce qu’ils n’avaient pas besoin de mots. Le
vocabulaire de la passion n’avait rien à faire ici, ils savaient tous deux que
leur union prenait racine dans un passé de longue admiration mutuelle, sans
doute, mais aussi dans une sorte d’instinct qui les avait poussés à se joindre.
Lorenzo était venu vers Fiora comme le voyageur perdu qui découvre soudain une
étoile dans son ciel noir et Fiora l’accueillait parce qu’elle avait senti en
le voyant que le don d’elle-même était le seul apaisement qu’elle pût offrir à
ce désespoir mêlé de colère qui empoisonnait son âme. En outre, affublée du nom
exécré des Pazzi, elle éprouvait une délectation secrète à donner au Magnifique
cette nuit de noces qu’elle n’eût jamais accepté de subir.
Rapprochés
dans de telles conditions et sans le secours d’un véritable amour, Lorenzo et
Fiora auraient pu connaître un échec, ou tout du moins une déception, mais ils
découvrirent avec émerveillement que leurs corps unis vibraient à l’unisson,
réalisaient l’accord parfait si rare entre les amants. Chacun savait d’instinct
ce qui pouvait combler l’autre et c’est ensemble qu’ils atteignirent à la
volupté suprême, à un plaisir d’une telle intensité qu’en s’apaisant, il les
rejeta pantelants dans la soie froissée des draps. Après quoi, ensemble
toujours, mais dans les bras l’un de l’autre, ils sombrèrent dans ce sommeil
dont ils avaient tant besoin et qu’ils n’avaient pas réussi à trouver dans leur
solitude.
A l’aube,
Lorenzo se leva. Fiora dormait de si bon cœur qu’il hésita à la réveiller,
mais, avant de replonger dans l’enfer qui l’attendait, il lui fallait puiser
dans ses yeux et sur ses lèvres une force nouvelle. Alors, il l’a reprit dans
ses bras et baisa son visage jusqu’à ce qu’elle relève enfin des paupières qui
s’ouvraient avec peine.
– Je
ne voulais pas partir comme un voleur, murmura-t-il contre sa bouche. Et
puis... veux-tu me permettre de revenir... la nuit prochaine ?
Elle
lui sourit, s’étirant avec une délicieuse sensation de bien-être :
– Tu
as besoin d’une permission ?
– Oui...
Ce que tu m’as donné était si beau que j’ose à peine y croire encore.
Cette
fois, elle se mit à rire :
– Auprès
de toi, saint Thomas était un croyant aveugle. Ou alors dis-moi pourquoi nous
nous retrouvons tous deux, nus, et dans le même lit ?
– Peut-être
parce que c’était comme dans un rêve et que je veux rêver encore ? J’ai
besoin de t’aimer, Fiora, de prendre ta chaleur et de te donner la mienne. Tu
es comme une source longtemps espérée et qu’un miracle a fait jaillir du rocher
le plus noir et le plus aride. Ne plus y boire serait pour moi une cruelle
souffrance. Veux-tu encore
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