Fiora et le Pape
père.
– Tu
veux dire que le roi ne lèvera pas le petit doigt pour te sauver ?
– Exactement.
Votre Sainteté, en me faisant enlever, a fait un très mauvais marché.
A ce
moment, la porte de la salle s’ouvrit et, avant que Mgr Patrizi ait pu l’annoncer,
une jeune femme était entrée d’un pas rapide et s’avançait hardiment vers le
trône. Très jeune en vérité, mais ravissante avec ses cheveux de miel et ses
yeux couleur d’aventurine, elle était vêtue avec une magnificence que Fiora ne
put s’empêcher d’admirer. Rien de plus élégant que cette robe de satin noir
brodée d’or ouvrant sur des jupes de satin cramoisi. D’énormes rubis d’un rouge
profond brillaient sur sa gorge, à son corsage, aux agrafes de ses amples
manches et sur la résille d’or qui retenait la masse de ses cheveux. Sur ses
épaules, elle portait un grand manteau de velours vert prairie doublé de zibeline
noire. D’autres rubis étincelaient à ses mains et à ses oreilles.
L’expression
de colère du pape s’éteignit comme par enchantement et se changea en un aimable
sourire quand la belle enfant vint baiser sa main, puis sa joue, avant de s’installer
familièrement sur l’un des coussins disposés sur les marches de l’estrade où le
flot chatoyant de sa robe s’étala.
– Ma
nièce, reprocha doucement le pape, quand donc perdrez-vous cette habitude d’entrer
ici comme un tourbillon sans vous soucier du protocole ?
– Jamais,
je crois ! Si cela vous déplaisait, vous n’auriez pas cet œil vif et ce
sourire chaleureux que j’aime tant vous voir, déclara-t-elle avec un rayonnant
sourire dont elle envoya la fin au cardinal d’Estouteville à qui elle tendit la
main sans façons.
– Vous
êtes plus belle que jamais, Madonna, fit celui-ci galamment.
– Oui,
n’est-ce pas ? fit-elle avec une enfantine satisfaction. On ne dirait
jamais que j’attends un enfant pour ce printemps !
Tandis
qu’elle parlait, ses yeux s’étaient fixés sur Fiora. Un instant les deux
regards s’accrochèrent, se fondirent. Il n’y avait nul dédain dans celui de la
nièce du pape, et même Fiora crut y lire une sorte de sympathie.
– J’ai
un autre défaut, ajouta tranquillement la nouvelle venue. Mes oreilles sont
beaucoup trop fines et j’entends souvent des choses qui ne me sont pas
forcément destinées. En outre, je suis déplorablement curieuse et il se trouve
que ces mêmes choses m’intriguent toujours plus que les autres.
– Ce
qui veut dire ?
– Que
j’aimerais savoir, par exemple, pourquoi Votre Sainteté a fait enlever cette
jeune dame ? Où elle l’a prise ? Et pourquoi donc représente-t-elle
un si mauvais marché ? Le roi en question ne serait-il pas le vôtre,
Monseigneur d’Estouteville ?
– Il
se peut que vous ayez raison, Madonna, fit le prélat un peu embarrassé, mais il
s’agit là d’affaires d’État et si grande que soit l’affection de Sa Sainteté
pour votre personne...
– Ne
tournez pas autour du pot, mon frère ! coupa le pape que l’irritation
reprenait. Cela ne la regarde en rien. Catarina, vous savez combien vous êtes
chère à notre cœur paternel, mais nous aimerions que vous restiez en dehors de
cette histoire qui relève entièrement de notre politique.
– La
politique est une chose, la charité en est une autre ! fit audacieusement
la jeune femme. Et je vois là, devant vous, une jeune dame, noble très
certainement en dépit des habits grossiers qui sont les siens et, plus
certainement encore, parvenue au bout de ses forces.
– Qu’elle
s’agenouille, alors, au lieu de se dresser devant nous comme un défi ! Vous
ignorez tout d’elle, Catarina : c’est une Florentine, une ennemie résolue
des Pazzi qui nous sont proches, comme vous le savez. Par deux fois, elle s’est
mise à la traverse de nos desseins et le sort normal qui devrait lui être réservé
est la mort. Mais...
Un
éclair brilla dans les yeux de Catarina au nom des Pazzi, Fiora l’aurait juré.
Les souvenirs lui revenaient à présent et elle savait qui se trouvait devant
elle : la nièce du pape, en effet, mais par alliance, Catarina Sforza, fille
bâtarde du duc de Milan, mariée à onze ans à Girolamo Riario, le neveu favori
du pape – peut-être même son fils ! –, un rustre dont on disait qu’il
avait été épicier ou douanier et entre les mains avides de qui Sixte voulait
remettre un royaume dont la Toscane serait le
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