Fiora et le Pape
rouge,
Sixte IV croassa :
– Voyez
cette femme, mon frère ! C’est à son propos que nous vous avons fait prier
de venir jusqu’ici. La connaissez-vous ?
– Pas
du tout ! fit le cardinal, qui ajouta, avec un demi-sourire : si c’était
le cas, je crois que je m’en souviendrais. Me direz-vous, Très Saint-Père, qui
elle est ?
– Un
être d’autant plus nuisible qu’il est plus dangereux. Cette Fiora Beltrami qui
a été la maîtresse du dernier duc de Bourgogne est à présent celle de votre
roi, Louis de France !
La
stupeur et l’indignation balayèrent d’un seul coup chez Fiora toute prudence
comme toute notion de respect envers de si hauts personnages.
– Qu’est-ce
que cette fable ? s’écria-t-elle. Je n’ai jamais été la maîtresse du
Téméraire, et encore moins celle du roi.
– Les
rapports de nos espions sont pourtant formels, gronda Sixte IV. Avez-vous, oui
ou non, suivi, et parmi ses intimes, le défunt duc du premier siège de Nancy
jusqu’à sa mort ?
– Certes,
je l’ai fait. Mais j’étais son otage car, bien que mariée à l’un de ses
capitaines, il voyait en moi une espionne du roi de France.
– Curieux !
Un otage, vraiment ? Nous avons ouï dire pourtant qu’à cet otage, il a
fait, avant le dernier combat, de tendres adieux assortis du présent de son
joyau préféré ?
– Veuillez
me pardonner d’intervenir, Saint-Père, fit le cardinal français, mais cette
femme ne vient-elle pas de dire qu’elle est mariée à un capitaine bourguignon ?
– Il
y aura trois ans, au début de l’année prochaine, j’ai épousé à Florence le
comte Philippe de Selongey venu en ambassade auprès de Mgr Lorenzo. Le mariage
fut secret d’abord puis hautement reconnu.
– Où
donc est votre époux, en ce cas ?
– Mort,
Votre Grandeur ! Exécuté à Dijon en juillet dernier par ordre du roi... de
ce roi dont on ose me dire en face que je suis la douce amie.
Un
sourire chargé de venin apparut sur les lèvres du pontife, cependant qu’un
éclair s’allumait dans son regard dur :
– Que
d’invraisemblances ! Je vous fais juge, Estouteville. Mes gens sont allés
prendre cette soi-disant dame bourguignonne dans un petit domaine proche du
château de Plessis-Lès-Tours, domaine qui lui a été offert par le roi.
– C’est
vrai, dit Fiora en haussant le ton. Le roi Louis m’a donné ce manoir, où sont
encore mon fils nouveau-né, ma gouvernante et mes serviteurs, en remerciement d’un
service que je lui ai rendu.
– Grand
service en effet ! grinça le pape. A cause de cette créature immonde, l’un
de mes légats pourrit dans l’une de ces inhumaines cages de fer que le roi
Louis prise si fort. Il y est en compagnie de notre malheureux frère, le
cardinal Balue.
– J’ai
empêché, en effet, votre soi-disant légat d’assassiner le roi. Quant à votre
Balue, je ne sais rien de lui sinon qu’il est un traître.
– Tant
de bruit pour quelques marques d’amitié données à la Bourgogne ! Le duc
est mort. Il n’y a donc plus de raison de conserver notre frère en prison, et c’est
pourquoi je t’ai fait saisir, fille d’iniquité : si Louis XI veut te
revoir un jour vivante, il devra relâcher Balue et surtout fray Ignacio Ortega.
Enfin, il devra nous donner tous apaisements sur sa politique à l’égard de
Florence dont le maître ne songe qu’à se rebeller contre notre autorité.
– Jamais
Florence n’a reconnu d’autre autorité que celle de ses prieurs et de ceux qui
ont su lui apporter richesse, honneur et liberté : les Médicis.
– Écoutez-la,
mais écoutez-la donc ! hurla le pape en se dressant sur ses jambes
douloureuses, ce qui accrut sa colère. C’est une princesse en vérité que cette
fille ! Elle ose parler de droits, de liberté, et discuter politique avec
nous ? Cardinal, vous ferez bien d’envoyer très vite un émissaire en
France afin de faire connaître les conditions de rachat que nous allons dicter.
Cette femme attendra la réponse en prison.
– Alors,
vous pouvez aussi bien me faire exécuter tout de suite, dit Fiora avec
amertume. Jamais le roi n’acceptera les clauses de votre marché, Saint-Père !
D’ailleurs, peut-être qu’à cette heure il n’a plus pour moi la moindre amitié :
je lui ai fait savoir, en effet, mon désir de lui rendre son manoir parce que
mon fils ne saurait être élevé sur les terres de celui qui a ordonné la mort de
son
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