Fiora et le Pape
Corso, ainsi nommé parce qu’il servait jadis à
des courses de chevaux, d’ânes... et de Juifs. Sixte IV, qui avait décidé de
faire de cet immense coupe-gorge délabré où dominaient les champs de ruines une
cité civilisée, ordonnée, aux rues pavées autrement qu’avec les cruels petits
cailloux ronds du fleuve, avait fort à faire pour édifier une capitale à la
mesure de ses ambitions. Après avoir bâti un pont sur le Tibre, construit l’hôpital
San Spirito, des églises et des couvents, il couvrait Rome de chantiers qui
abattaient les masures et dégageaient les monuments antiques livrés au lierre
et aux herbes folles.
A
cette heure vespérale, constructions neuves et vieilles bâtisses étaient
fraternellement confondues dans la même grisaille sous une brume qui brouillait
tout et Fiora finit par renoncer à démêler un chemin quelconque dans le dédale
où l’on s’enfonçait. Elle ne sut pas que l’on chevauchait vers le Circus
Maximus, que l’on passait devant les ruines encore debout du palais à sept
étages de Septime
Sévère
pour rejoindre les thermes de Caracalla qui dressaient vers le ciel noir un
imposant fragment mutilé de la grande architecture impériale. La majesté de ce
fantôme des temps anciens, rouge et noir, força tout de même son intérêt et
elle demanda au capitaine ce que cela représentait. Il lui répondit, ajoutant :
– Vous
aurez tout le temps de les admirer. Voici le couvent San Sisto où je vous mène :
il est juste en face.
En
effet, un peu en contrebas du chemin où les grandes dalles romaines
affleuraient encore, se dressaient des murs ocre qui enserraient un fouillis de
végétation, des bâtiments bas mais harmonieux et le campanile carré d’une
église. Quand la troupe fit halte, on put entendre l’écho d’un chant religieux
étouffé par l’épaisseur des murs, et aussi le croassement des grenouilles du
marais voisin.
De son
poing ganté de cuir, l’un des soldats alla frapper à la porte où se découpait
un étroit guichet. Il frappa plusieurs fois, jusqu’à ce qu’un visage mince
encadré dans une guimpe blanche se montrât derrière les barreaux.
– Par
ordre de Sa Sainteté le Pape, ouvrez ! ordonna le capitaine qui se tenait
auprès de Fiora. J’amène celle que l’on vous avait annoncée.
Le
guichet se referma et la porte s’ouvrit lentement, mais sans bruit, découvrant
la forme blanche de la sœur tourière :
– Que
le Seigneur veuille tenir en Sa garde notre Très Saint-Père ! murmura-t-elle
en se signant. Entrez, ma sœur ! Il est vrai que nous vous attendions.
Fiora
descendit de sa mule et s’avança tandis que l’escorte reculait, les hommes non
prêtres n’ayant pas le droit de franchir la clôture. La voix de la religieuse
était douce et les chants que l’on entendait d’une grande beauté. Une main pâle
se tendit vers Fiora qui, tout naturellement, y plaça la sienne avec la
sensation qu’en elle s’apaisaient les angoisses, les méfiances et les craintes.
Se pouvait-il que ce couvent-là fût réellement un asile de paix ?
CHAPITRE VI LE JARDIN DE SAN
SISTO
Le
couvent des dominicaines de San Sisto, qui bénéficiait de la protection toute
particulière du pape, était l’asile préféré des jeunes filles nobles ayant
choisi de renoncer au monde, mais il arrivait qu’une jeune veuve pût y trouver
refuge ou encore une femme suffisamment bien en cour pour qu’on l’y admît.
Venant tout droit du Vatican, Fiora fut reçue avec courtoisie par mère
Giro-lama, femme d’un certain âge qui avait dû être d’une grande beauté et qui,
de toute évidence, avait l’habitude du commandement. Elle avait des yeux clairs
qui regardaient droit, une voix sonore et musicale, et un sourire peu fréquent
mais chaleureux qui lui gagnèrent aussitôt la confiance de Fiora. Après avoir
craint successivement d’être livrée au bourreau puis d’aller endurer un
calvaire au fond d’une prison, c’était bon de s’en remettre aux mains de mère
Girolama.
– Vous
êtes en piteux état, constata celle-ci en considérant sa nouvelle pensionnaire
d’un œil apitoyé. Etes-vous malade ?
– Non,
ma mère, je ne crois pas. Mais, durant deux longs mois, j’ai voyagé sur la mer
où j’ai beaucoup souffert. La nourriture a fait le reste.
– Je
vois. Pour ce soir, je vais vous conduire à votre chambre où l’on vous
apportera un repas.
– Ne
pourrais-je avoir de l’eau
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