Fiora et le Pape
vulgarité
de son comportement que sa robe tissée d’or ne faisait qu’aggraver. Que la
charmante Catarina fût mariée à ce lourdaud était l’une des absurdités qui
semblaient le lot de ce palais plus que royal.
Le
destin venait de la faire basculer dans un monde dont elle n’avait jamais eu la
moindre idée, même quand elle habitait Florence. Ce pape sans grandeur,
uniquement occupé de politique tortueuse et de biens terrestres, dont on
pouvait se demander quel genre de prières il adressait à Dieu – si d’aventure
il lui arrivait de prier ! –, cette cour peuplée d’hommes de main et d’esclaves,
jusqu’à cette jolie Catarina qui s’installait sur les marches du trône papal en
habituée, tout cela ne faisait que confirmer ce que ses rapports avec Ignacio
Ortega et son séjour au couvent de Santa Lucia à Florence lui avaient laissé
entrevoir : Rome sur les chemins de laquelle peinaient encore tant de
pèlerins, tant de pauvres gens soutenus par l’unique et patient désir de prier
au tombeau de l’Apôtre et de recevoir la bénédiction du souverain pontife, Rome
n’était-elle pas en train de devenir un repère de voleurs ?
Pour
sa part, Fiora allait bientôt pouvoir constater à quoi ressemblait un couvent
romain ; elle éprouvait malgré tout une sorte de soulagement en pensant qu’elle
y trouverait au moins le calme de la clôture, le silence et la paix, tout ce
dont son corps épuisé et son esprit douloureux avaient besoin. Même à Santa
Lucia elle avait réussi à dormir, et c’était de repos qu’elle avait le plus
besoin après ce qu’elle venait de subir. Plus tard, elle recommencerait à
penser et à chercher le moyen de bénéficier le moins longtemps possible de l’hospitalité
papale.
Le
grand Domingo avait disparu, et elle en éprouva un regret. Il avait représenté
pour elle un appui qui allait lui manquer. Dans la cour du Vatican, on la fit
monter sur une mule qu’une troupe de soldats enveloppa aussitôt. Leur chef
ressemblait assez à Montesecco avec qui, d’ailleurs, elle le vit parler un
instant. Elle devait apprendre plus tard que les deux hommes étaient frères,
tout en étant dissemblables.
La
nuit était venue. Une nuit humide et froide qui changeait l’aspect des choses
et effilochait la flamme des torches aux mains des serviteurs. Passé le grand
portail, on plongea dans les ténèbres extérieures, mais les yeux de Fiora s’accoutumèrent
vite et elle s’aperçut que la nuit était moins sombre qu’elle ne l’avait cru.
Les seules lumières encore visibles éclairaient les tabards aux armes du pape à
la tête de son escorte. Elle s’efforça de repérer de son mieux le chemin qu’on
lui faisait suivre, précaution indispensable pour une possible fuite.
Après
la place Saint-Pierre, guère plus grande qu’un parvis de village, on défila
devant quelques bâtiments aux portes desquels des pots à feu brûlaient dans des
cages de fer, puis devant une forteresse constituée pour l’essentiel par une
énorme tour cylindrique au sommet de laquelle se devinait la silhouette géante
d’un ange aux ailes déployées. En face, un pont garni de boutiques aux volets
clos enjambait le Tibre, dont l’eau noire était à peu près invisible. Puis l’on
s’enfonça dans un dédale obscur qui semblait être un énorme chantier de
construction coupé de terrains vagues.
Longtemps
abandonnée par les papes au profit d’Avignon, la Rome des Césars et ses
monuments gigantesques se fût sans doute effritée tranquillement jusqu’à
disparition totale si certains papes comme Nicolas V et surtout Sixte IV n’avaient
pris son sort dans leurs mains vigoureuses, obligeant les architectes qui
reconstruisaient les églises à se procurer des pierres hors de la ville au lieu
d’aller les chercher sur les vieux bâtiments voisins devenus ainsi de
confortables carrières.
Bien
sûr, avec le retour des papes, la richesse avait afflué de nouveau sur Rome.
Les pontifes construisaient sur la colline vaticane pour remplacer leur antique
palais du Latran détruit par un incendie et, autour d’eux, cardinaux et hauts
fonctionnaires se hâtaient de se bâtir des palais plus grands et surtout plus
riches que ceux des anciennes familles demeurées sur place. Mais toutes ces
constructions se faisaient sans ordre, Rome ne comportait guère alors que
quelques places et, en dehors de ruelles capricieuses, une ou deux artères un
peu larges et aérées comme le
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