Fiora et le Pape
semblait diaphane et le visage avait la pâleur d’un ivoire, mais l’allure
demeurait celle d’une altesse et le pape dut s’avouer que peu de princesses
gardaient devant lui cette contenance fière.
– Tu
as le caquet bien relevé pour une fille née sur la paille pourrie d’une prison !
Souffletée
par ce rappel aux malheurs de sa naissance, Fiora se sentit rougir, mais ne
faiblit pas :
– Je
suis surprise, dit-elle, que le souverain pontife soit éclairé à ce point sur l’histoire
d’une femme qui ne devrait pas intéresser le successeur de saint Pierre. Née en
prison sans doute, mais noble tout de même, j’ai, en outre, été élevée par l’un
des plus hauts hommes de Florence. De plus...
– En
voilà assez ! Je sais qui tu es, femme ! A cause de toi l’un de nos
meilleurs serviteurs, un saint homme, subit la plus dure des captivités dans
une prison inhumaine...
– Si
c’est fray Ignacio Ortega que Votre Sainteté canonise ainsi, un peu à la
légère, le Paradis doit être d’un accès singulièrement plus facile qu’on ne me
l’avait dit. Suffit-il donc de tuer un roi pour y accéder sans encombres ?
Fray Ignacio a tenté d’assassiner le roi Louis de France et, si j’ai pu l’en
empêcher, vous devriez, Très Saint-Père, m’en remercier : le sang des rois
aurait marqué d’une tache indélébile la blancheur de l’Agneau dont vous êtes le
représentant visible...
– Quel
conte est-ce là ? s’écria Sixte dont les gros doigts nerveux réduisaient
en charpie les pompons de ses accoudoirs. Fray Ignacio était chargé d’obtenir
la libération d’un prince de l’Église retenu en dure prison, au mépris de tout
droit, par le roi Louis. Il n’est pas notre serviteur, mais celui de la reine
Isabelle de Castille qui le réclame. Au surplus, ce n’est pas la première fois
que nous te trouvons en travers du chemin de la vraie foi et de l’honneur du
Christ-Roi ! Déjà à Florence, voici deux ans, tu causais horreur et
scandale par tes turpitudes.
– Est-ce
turpitudes que vouloir défendre la mémoire de son père assassiné ? Et si
scandale il y avait, j’en étais infiniment moins responsable que ceux qui,
devant l’enfant sans défense que j’étais, avaient accumulé pièges et
chausse-trapes. Était-ce pour la gloire de la reine Isabelle que fray Ignacio,
affilié aux Pazzi, complotait la perte des Médicis ?
Le
bruit des pertuisanes frappant sur le dallage coupa court à la philippique dans
laquelle se lançait Fiora qui, hors d’elle, avait décidé de jouer le tout pour
le tout. Un nouveau personnage faisait son entrée, une entrée singulièrement
majestueuse dont elle suivit la progression avec une sorte d’émerveillement. Si
quelqu’un avait mérité le titre de prince de l’Église, c’était bien l’homme qui
venait d’entrer et qui traînait d’un tapis à l’autre, dans un bruissement de
feuilles mortes, la splendeur de ses moires pourpres.
Qu’il
fût âgé ne faisait de doute pour personne, mais à soixante-quinze ans,
Guillaume d’Estouteville, cardinal camerlingue et archevêque de Rouen, gardait
une jeunesse d’allure que beaucoup lui enviaient, à commencer par le pape.
Grand, mince, racé jusqu’au bout des mains qu’il avait admirables, de vraies
mains de prélat, il était le plus riche cardinal du Sacré Collège et le plus
fastueux. Rome lui devait d’avoir arraché à la ruine certaines églises et d’avoir
répandu ses largesses sur nombre de foyers misérables, car c’était aussi un
homme de bien. Quant au pape, il respectait dans cet ancien moine bénédictin
issu d’une haute famille normande le sang royal de France – la grand-mère
maternelle du cardinal était sœur du roi Charles V –, la vaste culture et l’esprit
délié du diplomate. Doué en outre d’une grande éloquence et d’idées nettement
en avance sur son siècle, Estouteville, au cours d’une légation en France,
avait réformé profondément la Sorbonne et réclamé la révision de l’inique
procès de Jeanne d’Arc. Sa position à Rome était assez exceptionnelle pour qu’il
arrivât au pape de la lui envier.
Ses
jambes ne devaient pas lui causer le moindre souci en dépit de son âge, car il
s’agenouilla pour baiser l’anneau avec une parfaite aisance mais, en se
relevant, c’est sur Fiora qu’il posa le regard interrogateur de ses yeux qui
avaient la couleur candide des fleurs de lin. Du fond de son fauteuil
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