Fiora et le Pape
pour me laver ? Je n’ai pas fait une vraie
toilette depuis des semaines.
– Je
n’osais pas vous le proposer, fit la prieure avec un demi-sourire. Il m’est
arrivé d’avoir des pensionnaires qui dédaignaient les soins du corps et j’avoue
que je ne les appréciais guère. On vous portera de l’eau, du linge et des
vêtements, mais je n’ai à vous offrir que des habits de novice.
– Je
serai heureuse de les porter. Quant à ceux-ci...
– On
les lavera et, si vous n’en voulez plus, on les donnera aux pauvres. Tant que
vous serez chez nous, vous n’en aurez pas l’usage. Venez à présent ! Je
crois, en vérité, que vous avez surtout besoin de repos.
La
cellule qui l’accueillit ouvrait sur une galerie à colonnettes donnant
directement sur le jardin mouillé. Avec son lit étroit à rideaux blancs et son
mobilier simple, elle ressemblait beaucoup à celle que Fiora avait occupée à
Santa Lucia de Florence au temps de la catastrophe qui avait détruit sa vie. La
sœur converse qui vint l’y rejoindre alluma un petit brasero pour combattre la
froide humidité et lui permettre de se laver sans trop grelotter, déposa une
rose tardive dans un petit pot de majolique verte et se mit à bavarder
joyeusement tout en déployant les draps propres qu’elle destinait au lit et en
secouant les couvertures.
Fiora
apprit ainsi qu’elle s’appelait sœur Cherubina, nom peu courant, mais que
justifiaient son visage rose et joufflu et ses yeux d’un azur léger. Elle était
fille d’un paysan des environs de Spolète dont le seigneur avait fait entrer
Cherubina au couvent en même temps que sa fille cadette, Prisca, sœur de lait
de la petite paysanne qui lui était fort attachée. Il y avait à présent cinq
ans qu’elle était à San Sisto, et s’y serait trouvée pleinement heureuse – car
elle n’imaginait pas qu’il y eût un endroit plus beau au monde – si sœur Prisca
n’y eût dépéri depuis le dernier été sans que l’on pût trouver remède à son
mal.
– On
n’y peut rien, conclut-elle en écartant des mains désolées. C’est le marécage
qui est à côté du couvent. L’été, il y a beaucoup de moustiques et ils portent
la malaria.
En
résumé, San Sisto était peut-être le plus bel endroit du monde, mais
probablement l’un des plus insalubres. Grâce au ciel, l’été était fini depuis
longtemps et lorsqu’il reviendrait, Fiora espérait bien avoir quitté le
couvent. Mais ce soir-là, en s’étendant entre des draps frais qui sentaient la
bergamote, après avoir soupe de pâtes au basilic et d’une succulente salade de
fruits, la jeune femme pensa que, moustiques ou non, ce couvent était à sa
manière un de ces lieux privilégiés où la douleur fait trêve et où l’on peut
encore croire en la miséricorde divine. Sœur Cherubina était un peu déçue de n’avoir
point reçu de confidences en échange de son histoire, mais Fiora s’était
excusée en invoquant sa très réelle envie de dormir et en promettant d’être
plus communicative par la suite.
L’impression
délicieuse de se trouver à l’abri de la méchanceté des hommes et de reprendre
pleine possession d’elle-même persista dans les jours qui suivirent. Sous la
direction douce mais ferme de mère Girolama, le couvent semblait former une
grande famille dont chaque membre paraissait satisfait de son sort. Sereines,
les dominicaines trouvaient dans le travail, la musique, la méditation et la
prière cette paix du cœur et cette sécurité de l’âme que peut apporter un ordre
spirituel. Contre les murailles de San Sisto venaient se briser les bruits du
dehors, le chuchotement des intrigues comme les cris d’agonie des victimes que,
chaque nuit, l’incessante, l’éternelle querelle des deux puissantes familles
qui se partageaient Rome, les Orsini et les Colonna, abandonnait dans les
carrefours ou dans l’ombre d’une ruelle. On y vivait pour chanter les louanges
de Dieu et pour œuvrer à sa plus grande gloire. Aussi les offices y étaient-ils
d’une grande beauté. Fiora aima à en prendre sa part et à joindre sa voix à
celles des nonnes qui l’avaient accueillie avec une simple gentillesse et sans
lui poser trop de questions.
On
savait bien sûr qu’elle était florentine, la seule du couvent, et l’on apprit
bientôt qu’elle était veuve d’un des meilleurs capitaines du Téméraire. Mais le
défunt duc de Bourgogne était parfaitement inconnu des nonnes, hormis
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