Fiora et le Pape
à la Napolitaine. Mon
père a évité de plus graves ennuis en abandonnant à cet avorton la plus grande
partie de ma dot. Je l’avoue, j’étais révoltée lorsque je suis arrivée, mais à
présent, je n’ai plus envie de m’en aller. A quoi cela me servirait-il puisque
Battista ne reviendra plus ?
Dans
les grands yeux noirs à ce point semblables à ceux du page qu’elle en éprouva
une sorte de vertige, Fiora lut un désespoir si poignant qu’elle eut envie de
prendre cette enfant dans ses bras, comme une petite sœur malheureuse. Mais
tout, dans l’attitude d’Antonia, disait qu’elle eût refusé sa pitié.
– Vous
l’aimiez à ce point-là ?
– Je
l’aime toujours et je l’aimerai tant que je vivrai. A présent laissons mes
misères de côté ! C’est de lui que je voudrais vous entendre parler, car
vous avez longtemps vécu auprès de lui...
– Plus
d’un an : du premier siège de Nancy au second.
– Un
an ! J’aurais donné ma vie pour ces quelques mois et, je peux bien vous l’avouer :
je vous ai jalousée, détestée. Il disait que vous étiez si belle... et il avait
raison.
– Mais
vous, vous aviez tort. Quiconque nous a connus l’an passé pourrait vous le dire :
nous étions frères d’armes en quelque sorte, car Battista était otage, lui
aussi. Il répondait de moi sur sa tête si j’avais essayé de m’enfuir. Le duc
Charles savait employer tous les moyens pour obtenir ce qu’il voulait. Je m’en
veux de n’avoir pas cherché à revoir Battista avant de partir de Nancy et je
vous promets, si je parviens à retourner chez moi, ce que j’espère, que j’irai
là-bas et il faudra bien que Battista me dise ce qui lui est passé par la tête
pour agir ainsi.
– De
toute façon, même s’il revenait maintenant, je ne suis plus que sœur
Serafina...
– Vous
n’êtes que novice, comme il doit l’être aussi. Essayez de ne pas prononcer vos
vœux trop vite et priez pour que je réussisse à m’enfuir !
Avec
une spontanéité enfantine, Antonia se jeta à son cou et posa sur ses joues deux
gros baisers sonores. Les nuages qui l’instant précédent embrumaient les grands
yeux noirs venaient de faire place à un ciel nocturne plein d’étoiles.
– Je
ferai tout pour vous aider ! promit-elle.
Elle n’eut
pas le temps d’en dire davantage. Sœur Cherubina accourait, retenant à deux mains
ses cotillons pour aller plus vite et se retournant de temps en temps pour voir
si quelqu’un la suivait.
– Sauvez-vous,
sœur Serafina ! fit-elle. Notre mère prieure vient par ici avec Mgr le
cardinal vice-chancelier qui a émis le désir de vous voir, donna Fiora !
– Le
vice-chancelier ? Qui est-ce ? demanda la jeune femme. Je m’y perds
un peu dans tous ces cardinaux.
Mais
sœur Serafina avait filé sans demander son reste et disparu dans le bosquet de
citronniers. Ce fut Cherubina qui se chargea de la réponse :
– Sa
Grandeur le cardinal Borgia, un Espagnol et un bien bel homme. Il a des yeux...
comme de la braise !
Un
moment plus tard, tandis qu’elle s’agenouillait pour baiser l’anneau du prélat,
Fiora pensa que sœur Cherubina, qui s’était d’ailleurs enfuie aussi vite qu’elle
était venue, avais émis dans sa candeur naïve un jugement d’une grande justesse :
sous leurs sourcils noirs, les prunelles de Rodrigo Borgia brasillaient
littéralement, mais que son sourire à belles dents blanches était donc aimable
quand il remercia mère Girolama d’avoir pris la peine de le mener elle-même
vers sa pensionnaire ! Dans le cadre austère du camail de toile blanche,
le visage de celle-ci en prit la couleur de ces belles cerises dont Péronnelle
faisait de si bonnes confitures. Et quand elle s’éloigna, Fiora constata que sa
démarche était d’une légèreté toute nouvelle.
Immobile
dans la splendeur de ses hermines neigeuses et de ses velours pourpres, le
cardinal attendit qu’elle eut disparu pour se tourner vers Fiora qui s’était
relevée, puis son regard fouilla la luxuriante végétation autour du banc. Sans
doute peu satisfait de son examen, il dit soudain :
– Faisons
quelques pas, voulez-vous ? Nous pourrions aller jusqu’à ce bassin que j’aperçois
là-bas. J’ai toujours aimé les fontaines. Elles sont, avec les cloches, les
voix les plus harmonieuses que la terre puisse offrir au Seigneur. Et il y a là
un banc où nous serons à merveille pour causer...
D’où
Fiora conclut que le
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