Fiora et le Pape
l’a prouvé.
– Mais
pas d’amour ?
– Je
ne comprendrai jamais d’où vient cette fable. Pour ma part, je n’ai jamais
entendu dire que le roi eût des maîtresses.
– Il
en a eu, jadis, quand il était plus jeune, et elles lui ont même donné des
enfants, mais à son âge et avec sa santé que l’on dit mauvaise...
– Qu’il
en ait ou n’en ait pas, ce n’est pas là mon affaire, Monseigneur. Si vous
voulez m’accompagner jusqu’à la chapelle, je suis prête à jurer sur les saints
Évangiles que je ne suis pas et n’ai jamais été sa maîtresse. Voilà pourquoi j’ai
dit l’autre jour que le pape avait fait un marché de dupes : Louis de
France ne concédera rien pour me retrouver.
– Et
surtout, il n’abandonnera pas Florence et c’est cela le but profond du
Saint-Père. C’est pourquoi j’ai voulu vous voir.
– Qu’espérez-vous
de moi ? Que j’aiderai le pape à se défaire des Médicis ? N’y comptez
pas ! Je suis florentine avant tout et les Médicis me sont restés chers. Je
ne ferai rien contre eux, fût-ce au péril de ma vie.
– Loin
de moi une pareille idée ! Je n’ai pas d’affection particulière pour
Lorenzo et son frère, mais que Riario devienne le maître de Florence me
paraîtrait insupportable. Aussi bien, je ne suis pas venu vous parler
politique, mais simplement vous dire ceci : le palais d’un cardinal, et
singulièrement celui du vice-chancelier de l’Église, est un lieu d’asile
inviolable au seuil duquel s’arrête la volonté du pape.
Il se
tut, peut-être pour laisser ses paroles prendre tout le poids de leur
signification. Seul se fit entendre le bruit de la fontaine qui jaillissait et
retombait en pluie scintillante dans le bassin de marbre blanc. Comme si elle
éprouvait le besoin de reprendre contact avec quelque chose de réel, Fiora alla
y tremper ses doigts, laissant l’eau claire glisser sur eux et les rafraîchir. !
– Le
couvent où je suis n’est-il donc pas un lieu d’asile ?
– Pas
entièrement. On vous y a mise ; on peut vous en faire sortir que vous le
vouliez ou non. Ce n’est pas le cas chez moi.
– J’entends
bien, mais alors pour quelle raison m’offririez-vous un refuge ? Vous êtes
l’un des plus hauts dignitaires de la cour papale et...
– Je
viens de vous le dire : je ne suis pas venu parler politique. Sachez
seulement que je n’approuve pas toujours celle du Vatican. En outre, il se peut
que je souhaite ménager l’avenir en obligeant le roi de France. Enfin, je
serais inconsolable s’il vous arrivait malheur car, en véritable hidalgo, j’aime
à me dévouer au service des dames autant que j’apprécie les œuvres d’art. Vous
êtes l’une et l’autre.
Fiora
secoua ses mains, les essuya à un pan du voile qui couvrait sa tête et revint
vers Borgia qui s’était levé.
– Parlons
clair, Monseigneur ! Suis-je en danger ici ?
– Pas
dans l’immédiat, peut-être, mais cela ne saurait tarder. J’ai entendu des
bruits que je désire préciser. Bien sûr, après ce que vous avez subi, je devine
qu’il vous est difficile d’accorder votre confiance, mais écoutez ceci : au
cas où un événement quelconque vous inquiéterait, sachez qu’à partir de demain
quelqu’un à moi viendra pêcher dans l’étang voisin. Si vous avez besoin d’aide,
jetez un voile comme celui-ci, alourdi d’une pierre, par-dessus le mur que vous
voyez là. La nuit venue, vous franchirez vous-même ce mur. Vous serez attendue.
C’était
si surprenant que Fiora ne répondit pas tout de suite, essayant de réfléchir.
Néanmoins, elle murmura :
– Votre
bonté me confond, Monseigneur, mais, en allant chez vous, ferai-je autre chose
que changer de prison ? Si vous voulez me secourir, aidez-moi à rentrer en
France.
– Chaque
chose en son temps ! Vous ne pouvez quitter Rome sans préparation. Votre
fuite causera des remous qu’il faudra laisser s’étaler. Etes-vous si pressée de
retourner chez vous ?
– J’ai
un fils de trois mois. Son père est mort, et il n’a plus que moi.
– Gardez
l’espoir et donnez-moi votre confiance. L’important est de vous mettre à l’abri.
Ensuite, nous verrons à vous faire partir.
L’entretien
était terminé. Le cardinal levait déjà une main étincelante de joyaux pour une
bénédiction sous laquelle Fiora fut bien obligée de se courber, mais le respect
n’y était pour rien. Simplement le souci des apparences, car elle en
Weitere Kostenlose Bücher