Fiora et le Pape
chef-d’œuvre d’hypocrisie, mais en voyant sa compagne approuver
silencieusement de la tête d’un air pénétré, elle eut presque honte de duper
ainsi cette sainte femme qui l’avait accueillie si généreusement.
– La
sainte obéissance ! ma fille, soupirait mère Girolama. C’est notre premier
devoir à toutes et je sais gré au cardinal d’être venu vous le rappeler, d’autant
que votre conduite peut être de quelque importance pour la politique de Sa
Sainteté. Je connais peu le cardinal, mais je sais que c’est un grand
diplomate, fort soucieux de sa charge. Sur ce point, l’on ne peut que se
trouver au mieux de suivre ses conseils. Ce à quoi je vous engage vivement !
A cent
lieues d’imaginer quel genre de conseils le vice-chancelier venait de dispenser
à sa pensionnaire, mère Girolama s’en alla méditer, comme elle le faisait
chaque soir avant de se mettre au lit, sur la vie éternelle et les meilleurs
moyens de guider dans cette voie les jeunes âmes confiées à sa garde. Fiora,
elle, un peu mal à l’aise, choisit de pousser la porte de la chapelle pour
passer un moment dans son obscurité apaisante en face de la petite flamme rose
qui veillait au pied du tabernacle. En dépit d’une piété demeurée assez tiède,
elle comprenait parfois Léonarde qui, au moindre ennui, allait le déverser au
pied de quelque autel. Peut-être lui serait-il donné de recevoir, d’en haut, la
lumière ?
Mais
rien ne se produisit ; ni ce soir-là ni les soirs suivants et cinq jours
passèrent sans qu’aucune nouvelle vînt animer pour Fiora la vie bien réglée du
couvent. Si sœur Serafina avait fait passer, par le truchement de sœur
Cherubina, un billet au palais du cardinal Colonna, celui-ci n’était pas encore
apparu à San Sisto.
L’impatience
gagnait Fiora, car il n’est rien de plus agaçant que craindre quelque chose
sans savoir au juste ce que c’est. Aux approches de Noël, le temps changea et
devint pire encore qu’il n’était au moment de son arrivée. Une tempête s’était
déchaînée en Méditerranée et les rafales du vent d’ouest balayaient la côte
tyrrhénienne, emportant parfois les fragiles maisons des pêcheurs. En ville, le
vent arrachait des toits les tuiles rondes, tordait les branches des arbres et
faisait s’écrouler un peu plus les ruines, de moins en moins altières, des
antiques palais impériaux. Il s’engouffrait dans la moindre porte ouverte,
éteignait les cierges à la chapelle et faisait voler les cendres des braseros.
Les courants d’air achevèrent l’œuvre de la malaria et sœur Prisca mourut dans
la première nuit de l’hiver entre les bras de la pauvre Cherubina dont la bonne
figure, si gaie d’ordinaire, était bouffie de larmes.
Quand
on la porta en terre dans la vêture sévère de l’ordre et les pieds nus, Fiora
assista comme les autres au service funèbre et à l’ensevelissement qui suivit,
mais seul son corps était présent. Elle écoutait hurler le vent qui faisait
claquer les robes des nonnes comme des drapeaux sur leurs hampes et son esprit
vagabondait au jardin du côté du mur qui regardait vers l’étang. L’envoyé du
cardinal Borgia était-il à son poste en dépit de cet affreux temps ? C’était
à peu près impossible.
Néanmoins,
le service terminé, elle prit une mante noire et voulut descendre au jardin
pour en avoir le cœur net. Elle avait repéré l’endroit exact du mur où il
faudrait jeter le signal blanc et le suivre la nuit venue. Il y avait là un
vieux pied d’aristoloche qui avait dû connaître son enfance au temps des
Guelfes et des Gibelins et qui avait fermement accroché aux pierres du mur ses
branches devenues grises et noueuses. Grâce à lui, le franchissement de l’obstacle
devait se faire avec une relative facilité. Mais, au moment où elle se
dirigeait vers les parterres, mère Girolama vint la rejoindre.
– Vous
avez vraiment l’intention de descendre au jardin par ce temps ?
– Pourquoi
pas, ma mère ? Ce n’est qu’une tempête et j’ai besoin de respirer autre
chose que la fumée des cierges.
– N’avez-vous
pas suffisamment respiré au cimetière d’où nous venons ? Pour ma part, j’avais
peine à me tenir debout ! Au surplus, là n’est pas la question. On vous
demande au parloir.
– Moi ?
Est-ce encore... le cardinal Borgia ?
– Le
cardinal ne serait pas au parloir. Il a tous les droits de franchir la clôture.
C’est une dame dont
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