Fiora et le Pape
de leur vieille
lutte contre les Maures, mais les nouveaux venus avaient les dents longues, et
l’amour du faste. Ils s’intégrèrent très vite et, sous la houlette de Rodrigo,
s’imposèrent en flattant le goût des Romains pour les fêtes et, surtout, en
adoptant leur morale assez particulière qui veut que le crime puisse avoir de
la grandeur et que l’homme, libéré d’anciennes contraintes par la culture, soit
à peu près seul juge de son propre comportement.
En ce
qui concernait le vice-chancelier, sa réputation était désormais bien assise :
la messe n’était pas son occupation principale et il ne comptait plus ses
maîtresses dont la favorite, une certaine Vanozza, mariée à un fonctionnaire,
lui avait déjà donné deux fils, Juan et César, reconnus par le mari postiche
mais dont le cardinal ne celait nullement qu’ils étaient de son sang et qu’il
les adorait. Pourtant Vanozza, richement installée dans une belle maison de la
place Pizzo di Merlo et possédant une vigne sur l’Esquilin, ne pouvait
prétendre à l’exclusivité d’un homme dont on disait – et sœur Serafina devint
rouge vif en prononçant ces mots impurs – que « plus charnel ne pouvait
exister ».
– Je
crois, dit-elle en conclusion, qu’avant de vous en remettre à sa protection, il
vous faut peser ce que vous risquez. Ne vous a-t-il rien dit de ce danger qu’il
pressent ?
– Rien.
Il n’est pas certain et veut vérifier certaines choses.
– Ce
pourrait être aussi un danger imaginaire pour vous conduire plus sûrement entre
ses mains. Vous êtes très belle, et c’est sans doute la raison majeure pour
laquelle il s’intéresse si fort à vous, allant même jusqu’à venir vous visiter
ici sans la permission du pape.
– Alors
que dois-je faire ? Il a dit aussi qu’il m’aiderait à rentrer en France.
– Et,
bien sûr, vous êtes prête à courir tous les hasards pour ce bonheur de
retrouver les vôtres ?
– Et
pouvoir aller poser quelques questions à notre Battista, ne l’oubliez pas !
– Je
ne l’oublie pas et je voudrais pouvoir vous aider davantage, mais croyez-moi :
ne précipitez rien ! Je vais faire porter une lettre à mon oncle, le
protonotaire Colonna, en lui demandant de venir ici me parler. Le pape ne l’aime
pas, mais c’est un homme fin et rusé qui arrive toujours à savoir ce dont il a
besoin. Il nous a déjà sauvés de bien des aventures.
Cette
promesse réconforta Fiora. Dans la situation où elle se trouvait, elle avait
besoin de se faire des amis. Sans cela, jamais elle ne reverrait le doux pays
de Loire.
Elle
décida donc de suivre le conseil de sa jeune compagne et d’user de cette vertu
de patience dont Démétrios prétendait qu’elle était la plus importante de
toutes. Peut-être parce qu’elle était la plus difficile à pratiquer. De toute
façon elle n’était plus seule et, en écoutant la voix de cristal de sa nouvelle
amie chanter les louanges de la Mère de Dieu sous les voûtes blanches de la
chapelle, l’idée lui vint que les prières dont Léonarde devait, depuis son
départ, accabler Dieu en sa Trinité, la Vierge Marie et les saints et saintes
qui jouissaient de sa confiance, lui avaient peut-être valu de trouver un ange
sur son chemin.
Elle n’en
avait pas encore fini ce jour-là avec la visite du cardinal Borgia car, en
sortant du réfectoire, mère Girolama la prit à part pour faire quelques pas
sous les arches du cloître qu’éclairaient deux gros cierges de cire jaune.
– J’espère,
commença-t-elle en fixant le bout de ses pieds, que Sa Grandeur ne vous a rien
appris d’inquiétant ? Il est rare que notre modeste maison soit honorée à
ce point.
Fiora
pensa irrévérencieusement que mère Girolama grillait de curiosité comme une
vulgaire sœur converse et elle cacha un sourire sous l’abri de son voile blanc.
– J’en
ai été la première surprise, Ma Mère, mais, en fait, Sa Grandeur est venue m’exhorter
à la patience et à l’obéissance. Les façons, un peu vives peut-être, que j’ai
eues en face du Saint-Père au soir de mon arrivée l’ont inquiété. Il sait, en
effet, que j’appartiens à l’entourage du roi de France et il m’a fait
comprendre que, pour le bien de tous, il était préférable que je me soumette à
une volonté contre laquelle, en effet, je suis sans forces.
Au
prix de son âme, elle eût été incapable de dire où elle avait pris l’inspiration
de ce
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