Fleurs de Paris
terreur,
balbutie :
– Le cabinet de mon père !… Cette
porte ouverte !… Pourquoi ? Oh ! pourquoi cette
porte est-elle ouverte ?… Quelle main de spectre a ouvert
cette porte ?
Mais plus forte, plus audacieuse que Gérard,
Adeline surmonte bientôt cette faiblesse, hausse les épaules, et
ricane :
– La curiosité d’un domestique qui aura
voulu voir… qui aura oublié de refermer…
– Oui, ce doit être cela, bégaie Gérard
en claquant des dents… Cette porte… il faut la refermer…
– Eh bien ! refermons-là… C’est bien
simple ! il n’y a qu’à la pousser !
Mais la peur, à nouveau, s’empare de Sapho… Et
tous deux restent figés à leur place… Ni Adeline ni Gérard n’osent
marcher à la porte et accomplir ce geste si simple de la
fermer…
Les deux maudits, la main dans la main, rivés
à l’horreur, – comme là-bas, dans le manoir breton, lorsqu’ils se
penchaient sur l’abîme, – les deux damnés reculent et se penchent
vers cet autre abîme : la porte entr’ouverte !
Et lorsqu’ils ne peuvent plus reculer, ils se
regardent, et se voient avec des visages décomposés, terreux,
plaqués de taches verdâtres… des figures de spectres…
Alors, dans un souffle imperceptible, un
murmure indistinct, Gérard parle :
–
Êtes-vous bien sûre qu’il est
mort ?…
Lentement, Sapho fait « oui » d’un
signe de tête…
Un long silence !…
Et Adeline, à son tour, parle tout bas, si bas
qu’à peine il l’entend…
– Rappelle-toi… Après le cri, nous
n’avons plus rien entendu que le tonnerre des vagues se brisant sur
les rochers de Prospoder… nous n’avons plus rien vu que les crêtes
échevelées des lames, blanches d’écume dans la nuit… As-tu vu autre
chose, toi ?…
– Non, non, non, rien d’autre
chose !…
– Alors, insensé, pourquoi demandes-tu si
je suis sûre qu’il est bien mort ?…
Un frémissement secoue Gérard des pieds à la
tête ; il se ramasse ; il cherche à se faire tout petit
comme pour échapper à une invisible étreinte, et il
répond :
– L’insensée, c’est toi !…
Écoute !… Pourquoi je te demande cela ?… À mon tour de te
demander ceci… et réponds, si tu oses :
Pourquoi,
pourquoi… pourquoi n’avons-nous pas retrouvé le
cadavre ?…
Sapho chancelle ; une sorte de sifflement
aigu monte de son sein oppressé à ses lèvres tuméfiées… Ah !
pour elle aussi, c’est la question terrible !… Elle aussi,
depuis l’assassinat, ne songe qu’à cela !… Elle aussi, mille
fois, s’est demandé pourquoi le cadavre n’avait pas été
retrouvé !…
– Rappelle-toi à ton tour ! reprend
Gérard dans la suprême ivresse de l’horreur. Rappelle-toi,
Sapho ! Ces huit jours, ces huit nuits, ces heures mortelles
que nous avons passés ensemble à chercher !… Rien !
Rien ! Nous n’avons rien trouvé !… L’avons-nous assez
fouillée, la côte !
– Insensés !… Nous sommes
insensés !… La mer emporta le corps, voilà tout !… C’est
arrivé cent fois, sur cette côte tourmentée, qu’un pêcheur tombe à
la mer et plus jamais ne soit retrouvé !…
– Oui ! fait Gérard en hochant la
tête, mais combien de fois est-il arrivé que l’on condamne la porte
de la pièce favorite du mort et que cette porte se trouve
ouverte ?…
Et il fait deux pas vers la porte…
Et soudain, il recule, il titube, il se sent
mourir, et, grelottant comme la feuille au vent, penché sur Sapho,
il bégaye :
– De la lumière !… Il y a de la
lumière chez mon père !…
Du même instant, Sapho est debout, toute
droite… Elle se penche… elle regarde… et elle voit !… C’est
vrai !… Il y a de la lumière dans le cabinet !…
Mais cette fois, Sapho se raidit… les fantômes
de l’imagination, elle les terrassera !… la peur créatrice de
délires, la peur conseillère de faiblesse, elle
l’écartera !…
– De la lumière ? Et puis ?…
C’est le curieux imbécile qui se sera sauvé en oubliant d’éteindre.
Il a bien oublié de fermer !… Il aura entendu quelque bruit,
et sera parti en hâte, sa curiosité satisfaite, d’ailleurs… et
déçue ! Car il n’y a rien dans ce cabinet !…
– Rien ! répète Gérard, qui, peu à
peu, revient à la réalité. Rien que quelques vieux meubles, une
bibliothèque remplie de ses livres préférés… et son portrait…
D’un ton dégagé, en passant son mouchoir
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