Fleurs de Paris
carillonnent quelque
cérémonie. Là-bas, dans l’avenue de Villars, la musique d’un
régiment qui passe lance les éclats sonores de ses cuivres…
Et ce sont les joies plébéiennes éparses dans
l’air de cette splendide après-midi, qui viennent s’associer à la
joie intime qui vibre en ce troisième étage de la rue de
Babylone.
Et c’est la lointaine fanfare, ce sont les
cloches voisines, c’est le soleil, c’est Paris qui entrent et
murmurent à la mariée :
– Comme elle est jolie ! … Ah !
puissent s’accomplir les vœux des braves gens qui
l’entourent !
Heureuse ?… Elle l’est au delà de tous
les souhaits. Elle vit le cher rêve de son cœur. Cette heure
adorable réalise toute son espérance. Elle s’appelle maintenant
Mme Meyranes. Et elle répète ce nom, tout bas, dans une extase
ravie… Georges est à elle !
Lui, tandis que les verres se choquent,
moussent et rient…, lui, debout, fixe un point au dehors…
Et ce n’est pas sur les deux larges avenues
venant se croiser à cet angle que tombe la foudre de son regard un
instant illuminé d’un éclair sauvage… ni sur l’église où se sont,
il y a trois heures à peine, échangées les alliances…
C’est, de l’autre côté de la rue, presque en
face de la fenêtre, sur un ce ces vieux hôtels aristocratiques et
mornes qui parsèment ce quartier, – îlots du passé dans l’océan du
Paris moderne, un logis solennel… une demeure déserte dont les
persiennes closes voilent un deuil peut-être, dont chaque pierre
sue le malheur…
L’hôtel d’Anguerrand… l’hôtel sans maître… Car
où est le maître, depuis les temps où la baronne d’Anguerrand y
donna sa dernière fête ? … Qui sait !…
– Oui, oui, s’est écriée l’une des
demoiselles d’honneur. Lise, chère Lise, une romance !
– Si maman Madeleine le veut…, dit
gaîment la mariée.
– Sans doute, mon enfant… puisque c’est
l’usage à Paris, répond Mme Frémont. Et puis, tu chantes si
bien… d’une voix si douce…
Des yeux, Lise interroge le marié.
Et il tressaille, arraché au songe lointain
qui l’emporte. Lentement, ce regard qu’il fixait, sinistre, sur
l’antique hôtel abandonné, il le ramène sur l’épousée, avec une
belle flamme d’amour qu’elle en demeure éblouie.
– Que chanterai-je ? balbutia-t-elle
pour cacher son trouble.
– Ma chère Lise, dit tendrement le marié,
la vieille chanson que vous dites si gentiment, et dont parfois
vous berciez ma fièvre quand j’étais malade, quand vous et votre
bonne maman Madeleine m’avez ramené de la mort… oui, chantez-nous
la
Lisette de Béranger
… puisque, aussi bien, avec tant de
charme et de grâce, vous portez ce joli nom… Lisette…
– Bravo ! Et silence à la
ronde ! crie le métallurgiste.
Lise, toute pâle du souvenir que son Georges
vient d’évoquer, se lève.
À ce moment, on frappe à la porte.
On ne sonne pas : on frappe. Trois coups
secs et brefs.
Lise, un instant, a suivi du regard maman
Madeleine qui s’est levée pour aller ouvrir ; puis ses yeux de
lumière et d’amour, par un mouvement aussi naturel que celui de
l’aiguille aimantée, reviennent à l’adoré, à l’époux, à
Georges…
Et elle demeure figée, glacée, éperdue
d’angoisse…
Et l’atroce sensation l’envahit que ce qui
frappe… c’est… le malheur !
Car ce qu’elle voit l’épouvante… Ce qu’elle
voit, c’est le visage à peine reconnaissable du marié… ce visage
livide que l’horreur contracte, où la peur et l’audace se fondent
en une effroyable expression d’attente mortelle…
Pourquoi ? oh ! pourquoi avec une si
terrible physionomie son bien-aimé se tourne-t-il vers la porte,
simplement parce que quelqu’un vient de frapper… frapper trois
coups secs et brefs ?…
Avec l’incalculable rapidité de la pensée,
dans la seconde qui précède la catastrophe ou la mort, Lise, d’un
trait, parcourt sa vie.
Qui est-elle ? Une enfant trouvée.
Revenant d’Angers aux Ponts-de-Cé, une nuit de
Noël, Frémont le métayer et sa femme Madeleine l’ont ramassée sur
la route, dans la neige, à demi-morte de faim et de froid.
C’est tout ce qu’elle sait de son enfance.
Les gens, là-bas, l’appelaient la bâtarde, et
la faisaient pleurer de leurs ricanements.
Pourtant, c’est une radieuse vision jusqu’à sa
quinzième année, tant les vieux l’ont aimée.
L’enfant trouvée, recueillie,
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