Fleurs de Paris
Quel goéland de tempêtes ? Ou quelle douleur
humaine, inaccessible à l’apaisement ?…
Et c’est cela que regarde Georges !…
Et le voici qui marche sur le château… Il
entre par une porte basse qu’il sait ouvrir… il monte des
escaliers… Haletant, il s’arrête au bout d’un corridor. Tout à
coup, il pousse une porte…
Un vaste salon sévère, aux meubles massifs et
rudes…
Quelqu’un est là, qui lentement, les mains au
dos, la haute taille recourbée, les larges épaules affaissées,
physionomie d’une impassible et sombre énergie… cinquante ans
peut-être, se promène d’un pas pesant.
Rapide, violent, fulgurant de menace, Georges
Meyranes se campe devant le maître du manoir, et gronde :
– C’est encore moi, mon père !
Sans colère, sans surprise, celui que Georges
Meyranes appelle son père toise le jeune homme, et d’une voix
glaciale.
– Que voulez-vous cette fois ?…
– Je viens demander à mon père s’il
compte laisser son fils mourir de faim ! Je viens demander au
baron d’Anguerrand si c’est au vol ou au meurtre que l’héritier de
son nom et de sa fortune doit avoir recours pour assurer sa
vie !…
Le baron d’Anguerrand a eu un geste
violent ; les veines de son front se gonflent :
– Mon fils !… murmure-t-il.
Alors, lentement, gravement, il
prononce :
– Oui, vous êtes mon fils. Oui, vous vous
appelez Gérard d’Anguerrand. Oui, vous êtes l’héritier de mon nom.
Et cela, c’est la honte de ma vie ! Je ne me plains pas :
c’est aussi le châtiment de mon crime… Je vous respecte, vous tombé
à l’abjection… car, sans le savoir, vous êtes la vengeance !…
Or, puisque vous voici encore une fois en ma présence, écoutez…
– J’écoute, mon père !
– Lorsque, poursuivi par le remords,
renonçant à retrouver la trace des deux infortunés dont j’ai fait
le malheur… la trace de mon fils Edmond, la trace de ma fille
Valentine…
Un sanglot déchire la gorge du baron qui porte
la main à ses yeux ; dans le même instant, il se dompte et
reprend :
– Lorsque je vendis nos domaines de
l’Anjou pour venir chercher ici sinon l’oubli, du moins un semblant
de repos…
– Vos domaines
de l’Anjou ?
interrompt Gérard… le mari de Lise, de l’enfant trouvée sur la
route d’Angers aux Ponts-de-Cé.
– Oui ! continue le baron. Nos biens
étaient à Segré… Vous ne le saviez pas, vous, élevé à Paris… À ce
moment, vous veniez d’atteindre votre majorité. Vous exigeâtes
votre part et j’eus la faiblesse de céder. Notre fortune se montait
à trente-trois millions, dont je fis quatre parts : trois
millions pour moi, y compris les dépenses nécessitées par mes
recherches ; dix millions pour vous ; dix millions pour
Edmond ; dix pour Valentine…
– Toujours Edmond ! rugit le mari de
Lise. Toujours Valentine ! Toujours ce frère et cette sœur que
je n’ai pas connus ! Mon frère !… Ma sœur !… Allons
donc ! Ils ont disparu ! Morts depuis des…
– Silence ! tonne le baron
livide.
Le père et le fils, face à face, se mesurent
du regard.
Par degrés, le baron s’apaise ; il
reprend :
– En quelques années, vous avez dévoré
votre part. Quand à la mienne, vous me l’avez arrachée lambeau par
lambeau à vos diverses visites… Dès janvier, je n’avais plus que
six mille francs de rente inscrite en viager. Je vous le signifiai
alors. Et pourtant, en février, vous m’écriviez pour me menacer de
vous suicider devant la porte de mon hôtel, à Paris… Depuis, je
n’ai plus eu de nouvelles de vous… Qu’êtes-vous devenu ?… Cela
vous regarde seul !
– Oui, c’est vrai, mon père, j’ai été
fou ! J’ai jeté l’or aux ruisseaux, pour étonner le boulevard…
Mais si je me repens !… Écoute, père. Ce que je suis devenu
depuis février, tu vas le savoir… Le suicide, je l’ai tenté… La
mort me dédaigna… Une jeune fille, un ange me sauva !…
– Ô mon père, je suis plus misérable que
vous ne pouvez supposer. Cet ange… cette jeune fille… je sus
qu’elle possédait quelque argent… une pauvre somme… et je reconnus
vite qu’il n’y avait qu’un moyen de m’emparer de ces cinquante
mille francs… et ce moyen… Oh ! non !… dire
cela !…
Gérard se tait subitement.
Le baron empoigne son fils par les deux
épaules, et le soupçon atroce qui traverse son esprit lui échappe
dans un cri :
– Tu l’as
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