Fleurs de Paris
tuée !…
– Tuée ? hurle Gérard. Tuée ?
Qui ? Elle ?
– Si tu n’en es pas au meurtre, gronde le
baron, c’est donc que tu as… volé !…
Gérard tressaille…
Le hideux secret du mariage sous un faux nom,
l’abominable aventure du faux en écritures publiques, de la vieille
maman Madeleine dépouillée, de la candide épousée réduite à la
misère… ah ! cela du moins, le baron ne le saura
pas !…
– Eh bien ! oui. C’est cela !
J’ai volé !…
– C’est aux juges qu’il faut dire
cela !
Gérard secoue frénétiquement la
tête :
– Les juges ! râle-t-il. La cour
d’assises ! Le bagne ! L’éternelle séparation ! Mais
je l’aime, moi ! Je l’adore ! Je ne veux plus vivre sans
elle, entends-tu ? Je veux vivre ! Vivre avec elle !
Pour elle !…
Cette fois, l’amour de Gérard d’Anguerrand…
son amour pour Lise… et amour imprécis jusque-là, éclate en un
sanglot qui arrache au rude baron un long frisson de pitié
éperdue.
– Je l’aime ! rugit Gérard, qui
s’abat sur ses genoux. Je l’aime à en mourir ! Je ne veux pas
qu’on me sépare d’elle !… Père, père, cent mille francs
suffiront !…
– Trop tard, malheureux ! Je n’ai
plus rien !…
– Vous avez vingt millions ! tonne
Gérard en se relevant d’un bond.
– Vingt millions ! éclate le père.
Vingt millions qui ne sont ni à vous ni à moi ! Votre fortune,
vous aviez le droit de la dévorer ! La mienne, j’avais le
droit de vous la donner… Mais toucher à celle d’Edmond ! à
celle de Valentine !
– La dernière aumône ! supplie
Gérard. La dernière ! Je jure que…
– Et moi, sur une tombe, sur le corps
d’une pauvre victime, j’ai juré ! prononce le baron avec une
imposante solennité. J’ai juré ! Je jure encore que, moi
vivant, la part d’Edmond, votre frère, la part de Valentine, votre
sœur, demeureront intactes !…
Le baron se tourne vers un antique
bahut :
– Là, Gérard ! Là, dans ce meuble,
si je meurs, vous trouverez le récit de mon malheur, de mes remords
et de mes recherches ! Vous saurez pourquoi, moi vivant, la
fortune de votre frère et de votre sœur est sacrée ! Pour
dépouiller Edmond, pour voler Valentine, il faut… que vous
attendiez ma mort !…
Livide comme la figure du Parricide, Gérard se
ramasse, prêt à bondir. De sa poche, il sort un couteau, une lame
épaisse ! Le surin des escarpes !…
À ce moment, le baron appuie ses deux mains
sur le bahut et prononce ces paroles :
– Là !… Le récit de mes recherches
affolées… depuis Segré jusqu’à Angers, depuis la nuit fatale,
jusqu’à cette nuit de Noël où, sur la route de
Ponts-de-Cé
, je perdis la dernière trace de votre sœur
Valentine !
Le baron se retourne, et demeure pétrifié.
Son fils !… Son fils est près de lui, le
couteau levé !… Son fils va le tuer !…
Il se découvre la poitrine, et dit :
– Frappe !…
Et Gérard d’Anguerran ne frappe pas. Il bégaye
d’une voix de folie :
– La nuit de Noël ?… La route des
Ponts-de-Cé ?… Oh ! mais je deviens fou !…
La
dernière trace… sur la route des Ponts-de-Cé !
Lise !… ma sœur Valentine !…
– Frappe !… répète le baron.
Et Gérard recule… un souffle frénétique
soulève sa poitrine… les sanglots râlent dans sa gorge… Ramassé,
courbé, chancelant, il recule… atteint la porte… Il la franchit
d’un bond, et, avec un long gémissement, s’enfuit et s’enfonce dans
la galerie en se heurtant aux murs…
À cet instant, une main le saisit au passage,
l’arrête, l’entraîne…
Une main fine… une main délicate et violente…
une main de femme !
Douce et nerveuse, et impérieuse, cette main
l’entraîne dans une chambre et Gérard voit devant lui une jeune
femme, – brune, cheveux aux opulentes torsades noires, lèvres de
feu, – un corps aux lignes voluptueuses… un admirable type de
beauté féminine semblable à une de ces fleurs tropicales qui
distillent de l’amour et de la mort…
– Sapho ! râle le mari de Lise.
Et dans l’épouvante de ce qu’il croit avoir
compris dans les derniers mots de son père, Gérard songe
éperdument :
– Lise !… Ma sœur Valentine !…
C’est Valentine que j’ai épousée !… C’est Valentine que
j’aime !… Perdue !… Perdue à jamais pour moi !…
Adieu, Lise ! adieu l’amour, la régénération peut-être… Voici
le
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