Fleurs de Paris
signifier qu’il ne peut rien à ce drame, et
murmure :
– Allons, vite, vous autres !
Une rapide secousse, des chaises qui tombent,
une bousculade… Violemment, le marié est entraîné…
Et pour elle… pour l’adorable et douloureuse
épousée, il n’a pas un mot, pas un regard… il n’ose pas !
Un soupir… un râle d’agonie :
– Georges !…
Lise ! Pauvre petite Lise ! Pauvre
cœur broyé ! Pauvre joli rêve, qui, les ailes brisées, s’abat
dans la fange… dans le sang peut-être !…
Dans ses yeux, à travers le brouillard noir
qui flotte sur ses paupières, maintenant, c’est une atroce
vision : un à un, les invités, tout blêmes, s’en vont, se
sauvent… Elle est seule ! Où est-elle ?… Pourquoi cette
table en désordre ?… Seule ? … Et maman ?…
Oh ! là… dans l’antichambre… est-ce
qu’elle est morte ?…
Lise n’a pas de larmes dans les yeux ;
doucement, péniblement, elle va jusqu’à la vieille maman… elle
s’agenouille… et des lèvres blanches… blanches comme la fleur
d’oranger, balbutie :
– Ne crains rien, maman… ce n’est rien…
il va revenir… Je t’en prie… prends-moi dans tes bras… je souffre,
si tu savais !… Oh ! mais je meurs… à moi !… je…
Une détonation dans l’escalier ! puis
deux autres plus lointaines… des coups de revolver !… Un
fracas, un tumulte, des cris, des hurlements, une clameur qui
s’enfle et s’éloigne… puis le silence !…
Toute blanche dans sa toilette blanche…
toilette de mariée, toilette de morte… la tête dans les deux mains,
Lise se penche, l’azur de ses yeux s’éteint, et, dans un dernier
souffle, dans un sourire… – oui ! un sourire de foi
inébranlable et vivante, pareil à un baiser d’une infinie
tendresse, – descend à l’évanouissement de son être en exhalant son
amour indestructible :
– Il va revenir… Georges… je t’aime… je
t’aime…
Plus rien !…
Dans la rue, des gens courent. Du monde à
toutes les fenêtres. Du monde sur le pas des portes. Des
exclamations qui se croisent.
– Arrêtez-le !
Arrêtez-le !…
– Par le boulevard !
– Les deux agents d’en bas sont
blessés !
– Il en a tué un dans
l’escalier !
– Ah ! il est loin, s’il court
encore !
– Allons, allons, circulez, vous
autres !…
Au croisement de la rue Vaneau et de la rue de
Varenne, un jeune homme, après avoir vainement cherché du regard un
auto-taxi en maraude, arrête un fiacre découvert qui passe à vide,
et que conduit un des survivants, devenus rares, de la vieille race
des Collignons.
– À la Bourse, bon train.
– Tiens ! fait le cocher debout sur
son siège. Qu’est-ce qui se mijote, là-bas ?
– Rien. Un cambrioleur qu’on mène au
poste. Fouette ! Vingt francs la course !
– Un louis ! murmure le vieux
cocher, à trogne illuminée. Généreux comme un boursier qui
débute !… Oui, oui, compte tes billets bleus, va ! Je
connais ça : moi aussi, dans les temps, j’ai joué à la Bourse…
malheur !… Et hue Ernestine !… c’est un client à la
hauteur !
Dans ses deux mains crispées, moites de sueur
froide, le client serre convulsivement une liasse de billets. Et
son regard qui se rive sur les soyeux papiers bleus est
tragiquement fixe. Il frissonne parfois ; ses mâchoires
grelottent… Et il gronde :
– Descendrai-je donc jusque-là ? Si
bas ?… Si bas ?… Toute sa fortune !… Sa dot !…
Sa pauvre dot… Ces cinquante billets me brûlent… Les
renvoyer ? Oui, c’est cela : les lui faire parvenir… Et
moi ! Et moi alors ?… Deux jours… deux heures de veine,
et je double !… Voilà la solution : tout s’arrange… Cinq
mille louis, et je suis sauvé !… Et alors je les lui renvoie…
non… je les lui porte.
D’une poussée violente, en tas, il renfonce
dans sa poche la liasse froissée.
Et plus loin, dans sa méditation sinistre,
plus pâle, plus frissonnant :
– Je les lui porte… Oh ! mais je
veux donc la revoir ?… Qu’est-ce que j’ai là qui me tenaille
le cœur ?… Si jolie !… Si jolie et si douce !… Et
ses yeux… Oh ! est-ce que son regard, maintenant, va me suivre
partout ? La revoir ! Revoir ses yeux ; entendre
encore sa voix !… Voyons, je perds la tête, moi ! Est-ce
possible ?… Pris à mon piège ?… Est-ce que cela
est ? Est-ce que vraiment c’est à moi que cette effrayante
aventure arrive de
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