Fortune De France
Mespech.
Tous
ne répondirent pas, tant s’en faut, mais je ne veux point dire ici qui resta
quiet en son château, et qui paya de sa personne. La vie refleurissant après la
grande peur de la peste, bien crânes, ou bien fermes en leur conscience furent
ceux qui acceptèrent de hasarder leur peau dans un combat de rues contre des
gueux retranchés, sans rien à gagner à l’affaire que des navrements, et la
gloire de servir la cité.
Mespech
y mit une condition : que mon père assumât seul le commandement des
volontaires – condition qui fut accordée sans baragouiner, tant était
grande et reconnue l’expérience de Jean de Siorac dans la conduite des
opérations de guerre.
Je
l’eusse juré : Mon père insista fort sur le secret et la surprise et, pour
couvrir son dessein, engagea M. de la Porte à amuser Forcalquier par des
négociations qui tendaient à lui reconnaître, ô merveille, un droit de péage
sur la porte de la Lendrevie. Mais Forcalquier voulait plus. Il portait
maintenant fraise et pourpoint, plume en sa toque, tenait une sorte de cour de
gueux et de ribaudes, et tranchait du seigneur. En sa folie, il exigea que la
ville demandât au Roi qu’il l’anoblît, et M. de la Porte, qui se gaussait
prodigieusement de cette insensée marotte, y entra cependant, menant notre
homme dans d’infinies chicanes, soulevant des points difficiles : le Roi
pouvait-il anoblir Forcalquier sans lui bailler un fief ? Quel fief lui
bailler sans déposséder un seigneur de sa châtellenie ? Et quel seigneur
déposséder ? — Quelque puant hérétique, répondait noblement
Forcalquier, qui peut-être se souvenait avoir reçu en plein visage, des mains
de mon père, quatre-vingt-dix livres de chair de bœuf.
Tandis
que M. de la Porte endormait le Baron-boucher en lui promettant prou sans idée
de lui donner rien, mon père, dans le plus grand secret, fixait le jour,
l’heure et les détails de l’entreprise. À Mespech, on ramassa tout. Pour une
nuit et un jour, Coulondre Bras-de-fer quitta le moulin des Beunes, Jonas, la
carrière, Cabusse, le Breuil. Et dans le château même, mon père enrôla ses
trois droles, Miroul, les deux frères Siorac, Marsal le Bigle et Escorgol, tant
est que ne restèrent enfin pour garder le château que Sauveterre et Faujanet,
auxquels fut adjointe Alazaïs, dont mon père disait en riant, mais hors de
l’ouïe de son frère, que « des trois hommes, elle était la plus
agile ».
Ce
n’est que la veille du jour qu’il avait fixé, et dont personne ne savait rien
encore, que mon père, me prenant à part après le repas, me glissa à l’oreille
de me coucher tôt, car il me réveillerait le lendemain à trois heures. J’allai
aussitôt me coucher et, le calel éteint, je rejoignis la petite Hélix en son
lit. Abrégeant alors nos petits jeux pour en venir vite à quoi les concluait,
je fis mine de la quitter quand, me serrant très fort dans ses bras, elle me
dit à voix basse :
— Ha,
mon Pierre ! C’est donc pour demain !
Je
réfléchis que le secret n’en serait pas un pour elle à trois heures, quand mon
père nous viendrait réveiller, Samson et moi. Cependant, je restai coi.
— Ne
va point te faire tuer, mon Pierre, poursuivit la petite Hélix dans un souffle,
mais sans relâcher son étreinte. Tout le temps que tu étais en quarantaine dans
la tour nord-est, j’ai eu un grand pensamor de toi...
— Un
pensamor ou un pensement ? dis-je pour la picanier.
— Les
deux, dit-elle, mais sans me punir d’un pinçon, comme à l’accoutumée. Les deux,
Pierre, reprit-elle, la voix tremblante et grave, et si un de ces méchants
devait t’occire, je mourrais dans le mois qui suit.
— Et
belle perte ce serait pour Mespech qu’une servante aussi musarde ! dis-je,
car la pensée de ma mort me déplaisait, et je ne voulais point m’atendrézir à
ces discours de femme.
— Mon
Pierre, ne ris pas, dit-elle, ses larmes me mouillant la joue. Je t’aime de
grande amour, comme il est écrit dans les livres. Quand je prie le Seigneur
Jésus, c’est toi que je vois en mes songes.
— C’est
donc une image que tu adores, et non pas Dieu.
— Je
ne sais, mais c’est de grande et belle amour que je t’aime, plus grande
qu’aucune femme ne connut jamais sur la terre des chrétiens.
Ce
disant, de ses bras ronds passés autour de ma taille, elle me serra très fort.
Je
le sentais bien, la petite Hélix disait alors le tout de son cœur.
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