Fortune De France
le tour sans rencontrer de
sentinelle, signe que le Baron-boucher, assoupi par les négociations de M. de
la Porte, se gardait mal. Cabusse revint sur ses pas le dire à mon père qui, se
félicitant à voix chuchotée avec Puymartin du succès de la surprise, posta des
hommes à tous les passages obligés du faubourg pour couper la retraite aux
gueux quand on les aurait levés au gîte.
Ce
gîte était, dans le faubourg, une fort grande maison qui avait appartenu à des
religieux qui, au contraire des prêtres de l’évêché, étaient demeurés à Sarlat
tout le temps de la contagion pour apporter aux infects le secours de la
religion. La mort avait payé leur merveilleux dévouement, à l’exception de deux
d’entre eux, que Forcalquier avait, sans vergogne, chassés pour s’emparer de
leur logis, dont les commodités lui plaisaient. Avec tous ses gueux autour de
lui et, mêlées à eux, les faciles ribaudes dont le corbeau avait parlé à mon
père, il y vivait dans la boisson, la ripaille et la paillardise, et un étrange
culte à Marie, dont il prétendait qu’elle lui parlait en songe, comme on a vu.
On
était à la pique du jour quand, le faubourg cerné par les petits postes –
je tenais l’un d’eux avec Samson et François dans une étroite ruelle, mais avec
de bonnes vues sur le logis des religieux –, le gros de la troupe
s’installa en silence dans une maison abandonnée qui faisait face au repaire du
Baron-boucher. Miroul s’avança alors, son grappin et sa corde autour du cou, et
portant en bandoulière sur le dos des paquets d’étoupe, dont je sus plus tard
qu’ils contenaient des fleurs de soufre. À mon grand ébahissement, après avoir
examiné la façade de la maison, il commença d’y grimper des mains et des pieds,
sans aide aucune de son grappin, avec l’aisance d’une mouche qui monte le long
d’un mur. Parvenu aux lauzes, il se mit à zigzaguer en courant sur le toit,
pourtant très apiqué, et atteignant les souches des cheminées, s’y accota, et
déballant ses paquets, il battit le briquet, et allumant l’étoupe qui entourait
l’un d’eux, il l’aviva de son souffle avant de le jeter par un des conduits de
fumée. Il agit de même pour les paquets suivants, dont le nombre – preuve
que mon père avait, au préalable, envoyé un espion sur les lieux –
répondait à celui des conduits. Ayant fait, Miroul redescendit du toit avec une
rapidité qui nous laissa pantois, et dès qu’il eut atterri sur les pavés, il
nous rejoignit en courant, mes frères et moi. Mon père l’avait en effet assigné
à ce poste, sa mission accomplie, comptant ainsi, vu son jeune âge, le mettre à
l’abri, comme ses droles, du plus aigre du combat.
Si
mon père avait voulu, par ces paquets de soufre, enfumer le renard afin de le
forcer hors de son terrier, le résultat ne répondit pas à son attente. Car
après un assez long moment, toutes les fenêtres du repaire s’ouvrirent d’un
seul coup, et les paquets d’étoupe et de fleurs de soufre, tout fumants d’une
vapeur suffocante, furent rejetés dans la rue, et les fenêtres closes à
nouveau, sans que les nôtres eussent fait feu, le commandement de mon père
étant, en effet, de ne pas tirer sur les ouvertures, mais sur les gueux quand
ils sortiraient du logis, chassés par la fumée.
C’est
ainsi qu’en quelques secondes le plan de mon père fut anéanti, l’effet de
surprise perdu, et le vent, rabattant la vapeur du soufre du côté où le gros de
notre troupe était posté, commença à l’incommoder fort, la maison vide où il
s’embusquait n’ayant ni fenêtre ni contrevent. Fort heureusement, elle avait
des issues sur le derrière, et c’est par là que mon père ordonna de se retirer.
Retraite qui se fit en bon ordre, mais dont Forcalquier, qui l’observait d’un
fenestrou, décida tout soudain de profiter pour faire une sortie avant que mon
père eût le temps de déployer à nouveau sa troupe.
Celle
de Forcalquier divisée en trois groupes, ceux-ci jaillirent du repaire, dérobés
à la vue par la fumée du soufre, et tâchant, dans leur course, de gagner le
large, ils se heurtèrent aux petits postes que mon père avait installés aux
passages obligés du faubourg. Les gueux étant en ces points supérieurs en nombre
et tout aussi bien armés que ceux qui lui barraient la route, il s’ensuivit une
série de confus et sauvages combats de rue, ceux mêmes que justement mon père
avait voulu
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