Fortune De France
ferme ton fenestrou, étends-toi sur ta paillasse et tends l’ouïe.
Ce droleva refaire son chemin.
— Oui,
Moussu lou Baron, dit Escorgol, son visage rouge d’humiliation, et sa crête,
d’ordinaire si dressée, lui retombant sur l’œil.
Sur
le commandement de mon père, le groupe se divisa en deux. Sauveterre, François
et Samson, tous trois armés et pistolet à la ceinture, accompagnèrent Miroul
hors de nos murs. Je restai dans l’enclos avec mon père et les trois dogues,
appelés, comme leurs prédécesseurs (ceux que les Roumes avaient égorgés),
Eaque, Minos et Rhadamante, noms compliqués et mythologiques que nos gens
avaient périgordinisés : Eaque devenant « Acha » (la hache),
Minos : « Minhard » (la fine bouche), et Rhadamante :
« Redamandard » (celui qui redemande de la pâtée).
C’est
sans aucun bruit, plié comme il était dans des chiffons, que nous vîmes le
grappin atterrir sur la courtine du rempart côté nord, c’est-à-dire du côté
opposé au châtelet où Escorgol tendait l’ouïe. Miroul apparut bientôt, ramena
sa corde, dégagea son grappin, et courant sans bruit aucun sur la courtine,
gagna un point à l’est où, lovant sa corde et la tenant de la main gauche, il
lança de sa dextre le grappin sur la grosse branche d’un noyer qui se trouvait
à quelques toises de la courtine, puis, se cramponnant des deux mains à la
corde, s’élança, survola la zone piégée et la clôture de pieux, et atterrit au
pied de l’arbre. Il dégagea alors son grappin, et comme nos trois dogues
accouraient en grondant, il se coucha de tout en long, leur offrant, immobile,
sa gorge, qu’ils flairèrent, son visage aussi, et tout son corps de haut en
bas, mais sans gronder plus avant, les poils hérissés se remettant à plat, et
les queues se mettant à battre. Miroul éleva alors la main, et ce fut à qui se
ferait frotter et caresser. Ce manège dura bien quelques minutes, Miroul
d’abord couché, puis accroupi, puis à genoux, et enfin debout, tous ses
mouvements lents et gracieux accompagnés de mignonneries à voix basse aux
dogues. Les chiens tout accoisés et même le léchant, Miroul enroula corde et
grappin en bandoulière autour de ses épaules et, se dirigeant vers l’étang, se
coula dans l’eau, nagea sans bruit et reprit pied dans notre lavoir, dont il
escalada un pilier avec une agilité merveilleuse, se glissant en un clin d’œil
sur le toit, dont il atteignit en courant le point le plus haut.
Le
plus dur de l’affaire était là. Lovant à nouveau sa corde, Miroul lança son
grappin. Il visait une des grosses bobèches de fer que Sauveterre, peu avant
l’attaque des Roumes, avait fait sceller de place en place dans la muraille de
Mespech pour recevoir des torches. La cible était petite, et Miroul dut faire
plusieurs tentatives avant de réussir à y ancrer son grappin. Et l’escalade,
ensuite, ne se fit pas non plus sans mal ni péril. La bobèche étant scellée à
une demi-toise du créneau le plus proche, il lui fallut se suspendre d’une main
à l’anneau de fer et, la pointe des pieds reposant sur le rebord d’une pierre,
relancer son grappin sur la courtine, à grand danger de perdre l’équilibre et
de tomber à l’eau. Il y parvint toutefois.
— Allons
retrouver nos gens, dit mon père. Miroul est déjà dans la place. Et Escorgol, à
part les chiens, n’a rien ouï, je gage.
— Monsieur
mon père, dis-je en cheminant à ses côtés, la gorge serrée, allez-vous le
pendre après cet admirable exploit ?
Le
visage de mon père se ferma.
— Ce
n’est pas que le cœur trop m’en dit, mais je le dois.
— Songez
au service qu’il a rendu à Mespech en décelant les lacunes de nos
défenses : le noyer, le lavoir, les bobèches des torches, et le fenestrou
du charnier.
— Tout
cela est fort vrai. Cependant, il me faut le pendre. C’est un larron.
— Un
larron fort petit. Il vous en a coûté une tranche de jambon de connaître les
faiblesses de Mespech.
— Il
eût pu vous tuer.
— Il
ne l’a pas tenté, dis-je, assez marri de répéter ce mensonge, même pour une
cause que je croyais bonne. D’ailleurs, ajoutai-je, poussé par mon remords à
une sorte de demi-vérité, l’eût-il tenté qu’on ne pouvait lui en vouloir :
un rat mord, toute retraite coupée.
— Oui-da,
je vous entends. Mais il mourra. C’est un larron.
— Si,
à quinze ans, ma famille égorgée, j’étais devenu orphelin et sans
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