Fortune De France
les commissaires civils par ses
injures et ses menaces qu’ils s’enfuirent à leur tour de Cahors, le laissant
seul maître de la justice du Roi en Guyenne, M. de Burie n’ayant plus le cœur à
s’opposer à lui.
Le
vent tournait, en effet. Le Duc de Guise (et derrière lui l’Église de France,
le Pape et Philippe II d’Espagne) redevenait tout-puissant. De ces forces
dont la nuée se préparait à fondre sur nous, Montluc n’était, en nos provinces,
que le docile et féroce instrument. La frérèche en avait conscience, et bien
qu’elle n’eût pris aucune part aux tumultes et aux séditions dans le Périgord,
elle commença à fortifier Mespech.
Les
nouvelles du Nord et de Paris n’allèrent pas tarder à accroître nos alarmes.
Accompagné d’une nombreuse escorte, le duc de Guise, le 1 er mars,
s’en revenait de Joinville, où il avait été visiter sa mère, et regagnait la
capitale. C’était un dimanche, et la matinée étant déjà fort avancée, il
s’arrêta à Vassy pour ouïr la messe. Jamais plus brillante assistance n’avait
honoré l’humble église. Le vainqueur de Calais, superbe en son pourpoint et ses
chausses de satin cramoisi, et portant plume rouge en sa toque de velours noir,
pénétra le premier dans la nef, assurément le plus grand, le plus beau et le
plus majestueux de tous les gentilshommes de sa suite. Il avait d’autres
raisons de porter haut la tête à Vassy, s’y sentant quelque peu le maître, la
ville appartenant à sa nièce Marie Stuart.
Mais
à peine était-il admis dans le chœur et assis dans son fauteuil doré qu’on vint
l’avertir qu’à une portée d’arquebuse cinq cents réformés célébraient leur
culte dans une grange en chantant les psaumes.
— Qu’est
cela ? dit-il en levant un sourcil irrité. Ne suis-je pas presque chez moi
ici ? Et Vassy étant ville close, même l’édit de janvier ne donne pas à
ces hérétiques le droit scandaleux qu’ils s’arrogent. Voilà leurs belles
Évangiles ! Ils outrepassent toujours ! Allons rappeler à ces téméraires
qu’étant mes sujets ils sont mal venus à me faire cette braverie.
À
ces mots, il sortit de l’église avec sa suite. Mais, par malheur, deux de ses
impétueux gentilshommes le devançant, entrèrent avant lui dans la grange et y
provoquèrent du tumulte.
— Messieurs,
dirent poliment les huguenots, s’il vous plaît, prenez place.
À
quoi le jeune La Brousse répondit en mettant la main à l’épée :
— Mort
Dieu ! Il faut tout tuer !
À
ce jurement, les huguenots s’émurent, jetèrent les fâcheux dehors et se
barricadèrent. Mais d’aucuns d’eux furent assez mal avisés pour se poster sur
un échafaud au-dessus de l’entrée et cribler de pierres le Duc et son escorte
quand ils se présentèrent.
On
les cribla de balles. Les portes furent enfoncées. On arquebusa comme des
pigeons ceux qui tâchaient de s’enfuir par les toits. Quand le Duc arrêta le
carnage, vingt-quatre huguenots étaient morts, et plus de cent étaient blessés.
Le
rôle politique assumé depuis peu par le duc donnait de l’importance à
l’événement. Il avait formé avec Montmorency et le Maréchal de Saint-André un
triumvirat qui, par-dessus la tête de la régente, qu’ils jugeaient trop
indulgente à la Réforme, s’était donné pour but d’extirper l’hérésie du
royaume, fort résolu, en ce grand dessein, selon l’affreux conseil du Pape au
jeune Charles IX de n’épargner ni le fer ni le feu. Cependant,
ceci, dans l’esprit de Guise, restait quelque peu abstrait. Grand chef de
guerre, il n’avait point, comme Montluc, la tripe cruelle. Il se voulait, bien
au contraire, bon, courtois, chevaleresque. À Metz et à Calais, il avait agi
avec humanité envers ses prisonniers. À sa mort, il se confessa du massacre de
Vassy, tout en niant l’avoir prémédité.
Mon
père qui, ayant servi sous lui à Calais, l’aimait et l’estimait, en dépit de
son zèle catholique (où il entrait bien quelque ambition), avait coutume de
dire que si les excités des deux bords n’avaient pas gâté les choses à Vassy,
le Duc se serait contenté d’une vive remontrance à ses « sujets » et
rien de plus, pour avoir rompu l’édit de janvier. En réalité, disait-il,
l’événement déborda François de Guise sur le moment, et le dépassa ensuite dans
ses conséquences.
À
Cahors, le massacre de la maison d’Orioles avait fait plus de morts qu’on
Weitere Kostenlose Bücher