Fortune De France
commenças, je vais te les ramentevoir.
— Oh
non ! Je ne veux rien ouïr, méchant ! Va-t’en ! dit-elle en
s’écartant de moi. Tu m’as ensorcelée avec tes beaux cheveux dorés qui te font
si semblable à un bel écu d’or ! Mais c’est piperie et
faux-semblant ! Tu es le diable !
— Je
ne le suis, et tu le sais ! dis-je avec colère. Le Diable, il est là,
poursuivis-je en touchant de la main diverses parties de son corps. Et si tu oses
répéter que je suis le diable, je m’en vais dormir avec Samson et tu ne me
verras plus céans.
— Oh
non ! Oh non ! Oh non ! dit-elle en me saisissant derechef en
ses bras et en me serrant contre elle avec la dernière violence. Ne t’en va
point, je t’en supplie, Pierre de Siorac ! Ou je serais si malheureuse que
je me jetterais du haut de la tour en l’étang.
Cette
menace ne m’émut guère. Je l’avais trop souvent ouïe des lèvres de ma mère, et
il n’était femme à Mespech qui, en ses humeurs noires, n’allât après elle la
répétant. Cependant, je consolai la petite Hélix, et par degrés ses pleurs
cessèrent, et ses sanglots. Et je la croyais déjà assoupie, quand elle dit
d’une voix piteuse :
— La
vérité, c’est que je suis trop petite pour mon gros péché.
— Mais
qu’y faire, dis-je en ma naïve logique, puisque tu ne veux point le
discontinuer ? (Et à vrai dire, je n’y tenais pas non plus.)
— Je
sais ! s’écria-t-elle en s’asseyant avec brusquerie sur son séant. On va
tous deux prier la Sainte Vierge qu’elle intercède pour nous auprès du Divin
Fils !
— Prier
Marie ! Dis-je avec indignation. Mais ce serait là pure idolâtrie !
Et c’est pour le coup que nous serions damnés !
— Que
non point ! Ma mère la prie tous les jours en cachette, et la Maligou, et
la Gavachette, et moi aussi !
— Que
me dis-tu là ?
— La
vérité. La Maligou a dressé un petit autel à la Sainte Vierge en un coin du
grenier, avec une belle grande image d’icelle et des fleurs séchées. Et c’est
là que nous allons prier l’une après l’autre en baisant les pieds de l’image,
et toujours quelqu’une pour faire le guet.
— Ma
mère sait-elle ?
— Oh
non ! Nous n’osons pas lui dire.
— Et
pourquoi ?
— En
ses colères, elle ne sait pas langue garder.
— Et
quand faites-vous cela ? dis-je, au comble de l’ébahissement.
— Quand
les messieurs sont retirés le soir en la librairie.
Et
certes, le moment était bien choisi. Dans la grande salle, à la veillée, il y
avait toujours tant de va-et-vient, les femmes vaquant au ménage, et les hommes
autour du feu regardant les châtaignes rôtir sous la cendre et parlant fort et
haut entre eux en l’absence des maîtres, qu’il était facile de s’absenter sans
donner l’éveil.
— Je
ne prierai point Marie, dis-je avec résolution. Ni ici ni au grenier. Mais
fais-le, toi, puisque cela te chaut.
— Mais
seule, cela ne vaudrait rien, dit la petite Hélix. Il nous faut prier de
concert, puisque nous péchons ensemble.
Et
ensemble recommencer ! pensais-je alors, mi-sérieux, mi-me gaussant, car
je sentais toute l’infirmité de son raisonnement. Mais, sur sa demande, je
promis pourtant à la petite Hélix de rester coi sur le culte secret de Marie
dans notre repaire huguenot. Et je me tins à ma promesse, non sans quelques
tourments de conscience, ma fidélité à mon père me piquant et poignant. Mais
j’avais bien trop peur que la frérèche congédiât Barberine et la petite Hélix,
pour ne pas rester bouche cousue.
Étienne
de La Boétie avait certes bien fait de mettre en garde Geoffroy de Caumont
contre Montluc qui, après avoir balancé un temps entre l’Église romaine et la
nôtre, avait choisi la première, sans autre conviction que son désir d’avancer
sa fortune à la Cour, son avidité à remplir ses coffres, et l’affreux bonheur
qu’il trouvait à répandre le sang. Au physique, c’était un homme sec et osseux,
avec un visage fort maigre, les pommettes hautes et saillantes, les sourcils
coléreux, les lèvres minces. Point du tout fanatique et ne tuant pas pour
l’amour d’une cause, mais par politique, par ressentiment et par plaisir.
C’est
à Saint-Mézard, dans l’Agenais, qu’en février 1562 il donna la première mesure
de sa cruauté. Il y avait eu dans le village une petite jacquerie huguenote
contre le seigneur du lieu, le sire de Rouillac, celui-ci ayant voulu
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