Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
chambre, et peut-être bien même la seule de La Bella.
— Si elle est trop avachie, elle aura encore plus de mal à respirer.
Mais ce n’était qu’un détail. Avait-elle suffisamment vomi, pour expulser le plus de poison possible ? Devrais-je lui administrer davantage d’émétine, ou bien tenter de lui faire avaler du liquide maintenant, avant que cette carence ne devienne une autre menace à sa survie ? Les sages-femmes avaient-elles véritablement réussi à stopper les saignements, ou allait-elle mourir de cela avant que le poison ne fasse complètement effet ?
À la vérité, mes connaissances étaient terriblement insuffisantes s’agissant de la façon de neutraliser les effets d’un empoisonnement. Je savais comment en empêcher un (du moins m’en targuais-je), et comment en infliger un. Mais je n’avais guère plus de compétences que les médecins lorsqu’il s’agissait de sauver quelqu’un victime de l’art de l’empoisonneur.
L’enfant de La Bella (et du Cardinal) avait payé mon erreur de sa vie. Et il restait encore à voir si la jeune femme de dix-huit ans qui se tordait de douleur devant moi allait y survivre.
La tanaisie avait fait son travail. Elle quitterait bientôt son corps et, si elle vivait, La Bella avait au moins une chance de guérir de ses effets. Mais le tartre émétique (ou l’arsenic, voire les deux combinés) était une tout autre affaire. Tout dépendait de la quantité qu’elle avait ingérée ; or je n’avais présentement ni le temps ni les moyens de me hasarder à une estimation.
— On va la faire boire, m’exclamai-je, prenant soudain la décision de ne pas attendre plus longtemps.
Avec un peu de chance, le liquide nettoierait son corps et elle arriverait à expulser le reste du poison avant qu’il ne cause davantage de ravages.
Avec l’aide de Lucrèce, je tins une coupe au bord des lèvres de La Bella et fis lentement couler un peu de thé à la camomille et à la menthe poivrée dans sa bouche. Une grande partie tomba à côté, mais elle en avala suffisamment pour me laisser espérer que nous avions au moins une chance. Mon cœur faillit bien arrêter de battre lorsqu’elle se remit à avoir des nausées, mais malgré plusieurs spasmes, elle ne vomit plus rien.
Pendant le reste de la journée, Lucrèce et moi luttâmes côte à côte avec elle. Tour à tour, nous l’encourageâmes et la forçâmes à boire, nettoyâmes les inévitables conséquences, l’emmitouflâmes lorsqu’elle fut prise de violents frissons et la baignâmes dans de l’eau froide lorsque la fièvre frappa. Personne d’autre ne voulait la toucher, tous craignant d’être frappés à leur tour. Les servantes apportaient sans arrêt des draps propres, les médecins attendaient patiemment que mes efforts échouent et Madonna Adriana restait à son poste en retrait, continuant à observer mais toujours aussi muette.
J’entendis vaguement une litanie de prières en train d’être récitées, et j’étais consciente de la présence de Vittoro devant la chambre ; mais à part cela, je restai tout entière concentrée sur le combat pour sauver Giulia. À mesure que l’heure avança, c’est ce qu’elle devint pour moi : non plus La Bella, si belle que chansons et poèmes avaient été composés pour elle, mais seulement une jeune femme plongée dans une situation périlleuse dont elle n’était pas responsable, et dont elle tentait au mieux de se sortir. Une femme qui s’était reposée sur moi pour sa sécurité.
À la nuit tombée je savais que nous avions gagné la bataille, tout au moins si l’on peut parler de victoire en pareil cas. Giulia dormait profondément et d’une respiration régulière, son pouls montrait des signes de vigueur et elle retrouvait enfin des couleurs. Je remerciai Dieu pour sa jeunesse et sa force physique qui, j’en étais persuadée, l’avaient tout autant sauvée que mes gestes. Par contraste, Lucrèce était pâle et paraissait totalement épuisée. Elle avait des cernes aux yeux et ses lèvres saignaient là où l’anxiété l’avait poussée à se mordre sans s’en rendre compte. Quant à moi, le spectacle que j’offrais devait être bien pire : j’avais l’impression d’avoir été rouée de coups, tant chaque muscle de mon corps était endolori.
Mais nous n’avions pas de temps pour nous remettre de tout cela. Je me levai de mon siège, près du lit, regardai une dernière fois Giulia pour me rassurer et me dire
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