Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
alentours, conclut-il, je ne vois pas bien ce que l’on peut faire.
Avec le temps, j’ai fini par accepter que ce sont les ténèbres logées dans mon esprit qui me permettent d’y voir si clair, parfois. Mais Borgia le savait déjà, lui.
Dans tous les cas, il ne se montra pas le moins du monde choqué en m’entendant déclarer :
— Le fait est que dans le pire des cas, nous n’avons pas besoin de trouver l’enfant. Il nous suffit de trouver le corps avant tout le monde.
— Mais assurément tu préférerais empêcher son meurtre, n’est-ce pas ? s’enquit le Cardinal en me scrutant attentivement.
— Bien entendu. C’est Morozzi le monstre, pas moi. Mais si on ne parvient pas…
— Si on ne parvient pas… (Borgia laissa sa phrase en suspens et se perdit un moment dans ses pensées.) Si tu étais Morozzi, quel lieu choisirais-tu pour monter un coup tel que celui-ci ?
— Comment ça ?
Si j’étais Morozzi ? Était-il en train d’établir une comparaison entre nous deux, comme des êtres à qui l’idée de tuer ne posait aucun problème ?
— Le succès de l’entreprise reposerait sur la découverte du corps, expliqua Borgia, et le fait d’arriver à faire instantanément pointer les juifs du doigt. Le cadre est donc capital. Où cela pourrait-il être ?
Je voyais où il voulait en venir, bien qu’à contrecœur. Si nous parvenions à deviner où le crime allait être découvert, nous réussirions peut-être, avec beaucoup de chance, à le stopper avant même qu’il n’ait lieu.
— Je ne sais pas, répliquai-je lentement. Près du ghetto, peut-être ?
Borgia secoua la tête.
— Trop évident. Les Romains sont nettement plus subtils que la populace de La Guardia. Ils ne comprendraient pas pourquoi les juifs se seraient donné tant de mal pour se retrouver impliqués dans le meurtre. Non, c’est forcément ailleurs.
— Où l’enfant avait-il soi-disant été tué, à La Guardia ? m’enquis-je.
— Sur une colline des environs. En l’occurrence, cela ne nous aide pas.
Certes non… Rome avait été bâtie sur sept collines. Il y avait plus d’un flanc pentu, dans la ville comme alentour. Comment en distinguer un spécialement comme cadre idéal où commettre une telle atrocité ?
Malgré tous mes efforts et la gravité de la situation, je ne pus réprimer un bâillement. Borgia me regarda, l’air mécontent.
— Quand as-tu dormi pour la dernière fois ?
— Il y a un moment, mais c’est sans importance…
— Ne dis pas de sottises. Va t’allonger. S’il se passe quoi que ce soit, je te le ferai savoir.
J’hésitai, réticente à l’idée d’être renvoyée dans mes quartiers où, je le savais d’avance, je ne ferais que me tourner et me retourner dans mon lit. Mais le Cardinal n’aurait su tolérer que l’on ergote avec lui. Je pris donc congé en m’entendant rappeler sèchement que je ne lui serais d’aucune utilité si je n’arrivais pas à garder les yeux ouverts.
Je trouvai un compromis en ôtant mes chaussures mais en m’allongeant tout habillée sur les couvertures. Je fixai le plafond un temps, repassant dans ma tête les événements des derniers jours. Ce n’était guère le meilleur moyen de s’endormir ; pourtant, au bout d’un moment je m’assoupis, d’un sommeil si léger que j’étais consciente d’être à mi-chemin entre l’état de veille et le rêve.
Le vrai sommeil, celui que l’on qualifie de « réparateur », se dérobait à moi. Morphée est un dieu capricieux ; il vient facilement à certains, et avec la plus grande difficulté à d’autres. Pour l’attirer, la meilleure chose à faire est de feindre le désintérêt. De se lancer en esprit dans une activité qui n’a rien à voir avec ce que l’on désire vraiment, et de ne se laisser distraire sous aucun prétexte. Dans mon cas, il n’y a rien de tel pour me bercer qu’une promenade à travers Rome.
Mon père était un grand marcheur ; il m’emmenait souvent avec lui lorsqu’il partait en exploration. Je découvris la Ville éternelle à travers ses yeux avant de la voir à travers les miens. Sans vouloir faire la fanfaronne, vous pourriez m’emmener dans n’importe quel quartier de la ville, je saurais me repérer rien qu’aux odeurs et aux bruits. En une occasion, au moins (plusieurs années après les événements relatés ici), ce don m’a sauvé la vie. Mais je digresse.
Courtisant ainsi en secret le sommeil, je me lançai dans une
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