Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
que j’avais raison de croire le pire derrière nous, puis me tournai résolument vers Madonna Adriana.
Elle était restée dans la chambre pendant tout ce temps-là, mais avait fini par s’asseoir. Elle était même à présent confortablement installée dans un fauteuil, d’où elle pouvait sans risque observer les opérations.
Je passai directement à l’attaque, n’ayant pas de temps à perdre en civilités.
— Qu’avez-vous à me dire sur ce qui s’est passé ?
Comprenez-moi bien, je n’avais aucune intention de me soustraire à mes propres responsabilités. Mais malgré mon jeune âge, je savais déjà que les meilleures réponses s’obtiennent lorsque la personne interrogée est prise au dépourvu. Quoi qu’elle ait pu attendre de moi – peut-être que je fasse preuve d’une larmoyante contrition, ou bien que je la supplie à genoux de me protéger de la fureur d’Il Cardinale –, elle n’allait pas l’obtenir.
— Comment cela ? demanda-t-elle à son tour, hérissée.
— J’ai vérifié tout ce qui est entré dans cette maison, la nourriture, le linge, tous les liquides. Tout a été scellé de mes mains, comme du temps de mon père.
Je me disais qu’il n’était pas inutile de lui rappeler les nombreuses années passées par ma famille au service de Borgia.
— Quelque chose m’a échappé, poursuivis-je, reconnaissant l’évidence pour couper court à toute remarque désobligeante. Je dois absolument déterminer ce que c’est, et comment cela s’est passé. Vous êtes la Domina, ici. J’ai besoin de votre aide.
J’employai à dessein le titre qui définissait son rôle de chef de famille, avec les droits et les responsabilités que cela impliquait.
Une ombre passa sur son visage, trahissant le plus léger des tressaillements. Je la fixai encore plus durement, tentant de déterminer ce qui avait pu causer une telle réaction. Rapidement, j’eus la conviction que Madonna Adriana n’était pas totalement innocente dans cette affaire. Non pas qu’elle en soit à l’origine d’une quelconque façon ; mais elle savait ce qui avait causé ce grand malheur, ou tout au moins avait de forts soupçons.
— Dites-le-moi, l’intimai-je.
Elle était inquiète, je le sentais, et peut-être y avait-il autre chose ; mais elle restait Madonna Adriana, et n’allait certainement pas se laisser commander par des individus de mon acabit.
— Comment osez-vous… commença-t-elle – mais je n’allais pas me laisser faire.
Nous avions perdu un temps précieux ; consacré à sauver Giulia, certes, mais tout de même perdu. Morozzi était quelque part, dehors, en quête de sa victime expiatoire, ou peut-être même l’avait-il déjà enlevée. Je n’avais pas de temps à perdre.
— J’oserai tout ce qui est nécessaire pour comprendre ce qu’il s’est passé, lui rétorquai-je. Je regarderai dans tous les endroits nécessaires, et poserai des questions à toutes les personnes nécessaires.
Je la fixai à dessein d’un air provocant.
Elle s’empourpra mais, soulignons-le, ne se départit pas de son calme. Je pris cela comme le signe d’une grande crainte, s’il lui fallait se contrôler même avec moi.
Pourtant elle s’entêtait à garder le silence, même si je voyais sa mâchoire travailler – comme si les mots luttaient pour sortir.
Ce fut finalement Lucrèce qui s’en chargea, elle qui était restée près du lit pour surveiller La Bella mais ne perdait pas une miette de la scène qui se jouait sous ses yeux. Dans un souffle, elle dit :
— Les figues…
Je faillis l’ignorer. Certes, les fruits frais peuvent être mortels, car ils causent de violentes excrétions qui privent le corps de fluides vitaux. Les nettoyer, ou encore mieux les peler avant de les manger, semble être une prévention efficace. Cela mis à part, il est quasiment impossible d’introduire du poison dans ce type de produit sans le gâter et laisser un goût amer qui éveille tout de suite les soupçons. Par ailleurs j’avais vérifié tous les fruits de la maison moi-même, avant de les sceller.
Je n’étais donc pas loin de songer que son jeune esprit ne faisait qu’émettre une idée comme une autre pour tenter de nous aider. Mais le regard de Madonna Adriana m’arrêta.
— Quelles figues ? repris-je.
Lucrèce se tourna vers son aînée comme pour l’implorer de répondre. Cette dernière s’exécuta enfin, mais pas avant d’avoir montré la porte d’un petit geste de
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