Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
De même, si l’un d’eux avait agi en solitaire, Borgia devait en être informé.
Mais j’étais convaincue qu’il ne s’agissait ni de l’un ni de l’autre.
— Quelqu’un cherche à semer la discorde entre la famille Orsini et vous, lui assurai-je.
L’idée étant également de la semer entre Borgia et moi, mais je n’étais pas prête à le lui avouer. En fait, je crois que j’espérais voir le Cardinal en arriver à cette conclusion par lui-même.
— Orsini envoyait une lettre à Giulia au moins une fois par semaine, expliquai-je. Elles lui étaient toujours remises par un messager portant sa livrée. Il suffisait de faire le guet devant l’entrée du palazzo pour le constater. La lettre arrivée avec les figues semble bel et bien être la sienne, mais il n’y fait aucune mention du cadeau. Mon sentiment est que les fruits empoisonnés ont été joints à la lettre par le même homme qui a pris la place du messager.
— Et d’après toi…, m’encouragea Borgia.
— La servante qui a été en contact avec le messager est une très jeune fille, et toute cette affaire l’a terrifiée. Il a fallu un certain temps pour la convaincre de nous raconter ce qu’elle savait.
En vérité il avait fallu pas loin d’une heure, et nous avions fini par lui faire boire une quantité considérable d’eau-de-vie pour faire cesser sa crise de sanglots incontrôlables ; une fois calmée, elle avait enfin répondu de façon sensée à mes questions.
— Elle a décrit un homme grand et blond, qui d’après elle était très beau.
Borgia se laissa aller brusquement en arrière dans son fauteuil. Malgré ses paupières tombantes, je distinguai l’éclat qui animait ses yeux. Et malgré la chaleur de la soirée, je frissonnai.
— Morozzi, dit-il dans un souffle, comme une affirmation inéluctable.
Je hochai la tête.
— Il semblerait bien. À mon avis, si l’on organisait une battue entre le palazzo Orsini et leur propriété à la campagne, on découvrirait le corps du véritable messager.
Je ne suggérais pas de le faire concrètement, car la distance entre les deux lieux était bien trop grande pour espérer accomplir quoi que ce soit d’utile en si peu de temps. Mais Borgia comprit ce que je voulais dire, et acquiesça.
— Pour que son plan ait aussi bien réussi, reprit le Cardinal, cela devait faire un moment qu’il y songeait.
— Votre relation avec La Bella n’est pas exactement un secret, et sa grossesse ne l’était pas non plus. Il n’aurait guère été difficile à Morozzi de trouver votre point faible.
Ce qui était précisément la raison pour laquelle il m’avait envoyée faire mon travail dans son autre maison, au départ. J’attendis sa réprimande.
— Tu es absolument certaine que le poison provient des figues ?
Je l’en assurai avant d’ajouter :
— Personne d’autre n’en a pris dans la boîte, et personne n’a été malade.
Il regarda dans le vague pendant un long moment, puis dit :
— Lucrèce aime bien les figues.
Je voyais où il voulait en venir. En une seule attaque, Morozzi aurait pu tuer à la fois la maîtresse de Borgia et sa fille unique, tout en laissant à croire que le coupable était un membre de la famille censée apporter un soutien vital à Borgia en vue de la papauté. À la vérité, ce complot était brillant.
— Nous l’avons sous-estimé, en conclut calmement le Cardinal. (Il leva les yeux vers moi.) Comment se fait-il que tu n’étais pas au courant ?
La voilà enfin, la question que je redoutais. Malgré tous mes efforts pour protéger les êtres chers de Borgia, comment les cadeaux que Giulia recevait de son époux avaient-ils pu me passer sous le nez sans que je m’en aperçoive ?
— D’après ce que j’ai compris, répondis-je prudemment, La Bella préférait ne pas vous inquiéter avec cela.
— Elle voulait en faire un secret ?
Lui-même gardait plus souvent qu’à son tour ses pensées pour lui. Mais la règle semblait ne devoir s’appliquer qu’à sa personne. Toute rétention d’information chez autrui était pour lui une trahison méritant une punition en conséquence.
— Il semblerait bien, répondis-je. Elle connaît la loyauté de la famille Orsini envers vous, et je suis certaine qu’elle n’aurait jamais imaginé courir un danger en acceptant ces petits cadeaux.
— Dans ce cas, c’est une idiote.
Certes, il avait raison, mais je fus choquée de l’entendre parler aussi durement de
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