Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
coup d’éperon nous ramener au trot au palazzo.
À notre arrivée, Renaldo nous attendait.
— Mais où étiez-vous donc passés ? nous demanda l’intendant avec une mauvaise humeur qui me parut excessive. Son Éminence m’envoie vous dire que le patriarche de Venise est arrivé. Le conclave débute après-demain. Nous avons encore beaucoup de choses à régler, et fort peu de temps.
Même si je n’appréciais guère les manières de Renaldo, je savais qu’il avait raison. Et par ailleurs, je n’arriverais jamais à m’arracher à la peine atroce qui était désormais mienne si je ne me plongeais pas corps et âme dans le travail. Avant que César ait eu le temps de me descendre de sa monture, j’avais déjà retrouvé la terre ferme.
— Je veux tout voir, jusqu’à la dernière pièce de linge que Son Éminence a l’intention d’emmener avec lui.
— La moitié de ses affaires est déjà partie. Vous ne pouvez tout de même pas escompter que Son Éminence attende votre bon plaisir et prenne le risque d’arriver comme un gueux avec ses ballots sur le dos.
— Certes, mais je peux escompter qu’il agisse en homme sensé. Il sait ce qui est en jeu. Morozzi…
Le prêtre fou avait su faire ses preuves, et s’il ne maîtrisait pas totalement l’art de l’empoisonneur, il était loin d’en être novice. Avec ses figues vénéneuses, il avait tué le futur enfant de Borgia et sa mère avait frôlé la mort. En choisissant ce biais-là, il donnait également le signal, selon moi, qu’il réservait le losange pour une autre occasion, plus importante.
Il était possible que je me trompe, bien entendu. Il avait peut-être l’intention de tuer Borgia d’une tout autre manière, et je me fourvoyais. Mais tout ce que je savais de lui me portait à croire qu’il ne s’était pas servi du losange sur La Bella car il le destinait à Borgia.
Le seul détail qui m’empêchait de sombrer dans le désespoir le plus total était que la mixture d’aconits, de pois rouges et de dames-d’onze-heures que j’avais concoctée n’était pas un poison de contact. Si on l’étalait sur un tissu ou toute autre surface que Borgia pourrait être amené à toucher, il n’aurait aucun effet. C’était une vétille mais qui, sait-on jamais, pourrait œuvrer en ma faveur. Si j’étais certaine que l’attaque sur Il Cardinale vienne de ce qu’il allait manger ou boire, je pourrais tout au moins concentrer mon attention là où elle serait la plus utile.
— Qu’est-ce qui est parti, exactement ? demandai-je d’un ton impérieux à Renaldo. La nourriture, les liquides, tout ça doit être rapporté sur-le-champ.
— Rien de tout cela n’est concerné, m’assura-t-il. Je parlais de son lit, ses vêtements, certains objets destinés à son confort, le tout venant de ses quartiers ici et par conséquent déjà inspectés par vous. J’ose croire que cela vous semble acceptable ?
Malheureusement, je ne pouvais en être totalement certaine. Je savais seulement qu’il me restait très peu de temps et que j’avais affaire à un ennemi extrêmement dangereux, certainement plus que jamais déterminé à triompher, au vu de son dernier échec en date.
— Venez avec moi, lui dis-je, et je quittai les lieux précipitamment, en oubliant même de saluer César.
Quelque temps après, je me trouvais dans les cuisines à inspecter l’emballage des vivres qui allaient accompagner Borgia lors du conclave lorsque Vittoro fit soudain son apparition.
— Te voilà enfin, fit-il. Qu’est-ce que j’entends, Morozzi s’en est encore tiré ?
J’étais en train de vérifier les scellés des barils de vin pour la millième fois et me contentai de lui rétorquer :
— Au moins, son plan pour soulever les Romains contre les juifs a échoué.
— Alors, c’est la fin de la partie.
Le soupçon de plaisir que je décelai dans sa phrase me fit lever les yeux. C’était un passionné d’échecs et, à ce titre, il était à même d’apprécier pleinement l’évolution de la tactique de Morozzi à chaque nouvel incident.
Mais il n’en restait pas moins que dans moins de deux jours (bien moins même, au vu de la vitesse alarmante avec laquelle le soleil poursuivait sa course), les princes de la sainte Église allaient s’enfermer dans le conclave. Et que quelque temps après – le plus rapidement possible, si l’on voulait éviter le chaos –, un nouveau pape en sortirait sous les acclamations de la
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