Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
compartiment caché. Mais il chercherait en vain, car le coffre avait été fabriqué selon un ingénieux mécanisme conçu pour maintenir le double fond en place. Pour le débloquer, il était nécessaire d’exécuter dans l’ordre une série d’actions sur les quatre parois extérieures du coffre, impliquant de faire glisser divers éléments en bois dans différentes directions, pour désengager le verrou secret. À ce moment-là seulement le double fond s’inclinait-il légèrement, révélant sa présence. Un seul faux pas, et le verrou se refermait.
Mon père m’avait révélé l’énigme du coffre alors que je n’étais encore qu’une enfant. Il m’avait raconté comment il avait été fabriqué par un marin venu d’Orient avec lequel il s’était lié d’amitié, et comment ce type de coffre était apparemment courant dans le pays d’où il venait. Quelle que soit son origine véritable, il était en tout cas plus sûr que n’importe quel coffre-fort : depuis des d’années, tous les secrets qu’il protégeait étaient restés intacts.
Une fois le mécanisme débloqué, je soulevai le double fond avec précaution et le mis de côté. Le compartiment ainsi découvert était conçu pour contenir fioles et autres bouteilles fermées hermétiquement, chacune soigneusement étiquetée de la main de mon père. Tout aussi importants étaient les carnets où nous avions tous deux consigné nos expériences et nos découvertes.
Ce petit stock et les carnets étaient tout ce que j’avais réussi à dérober entre l’annonce de la mort de mon père et la ruée quelques minutes plus tard des gardes du Cardinal dans ses quartiers pour les sécuriser. Dans le petit laboratoire bien rangé, caché derrière de lourds rideaux, les condottieri avaient découvert des étagères où étaient disposés divers produits chimiques ainsi que du matériel sur plusieurs tables, dont les objets fabriqués par Rocco mais également des balances, des mortiers, des meules à aiguiser. N’étant pas experts, il leur avait semblé que tout était en ordre et ils s’étaient retirés à la hâte, plusieurs d’entre eux allant jusqu’à faire le signe de la croix.
Mais il n’aurait fallu que quelques heures à l’Espagnol pour se rendre compte des trous qui avaient été faits dans le stock, ce qui n’aurait pas manqué de l’interroger. Toutefois, il n’avait pas vécu suffisamment longtemps pour faire cette découverte. Cela restait mon secret.
Assise par terre, je lus attentivement les dernières entrées de mon père dans les carnets ; elles dataient de plusieurs mois. De prime abord je ne remarquai rien d’inhabituel, mise à part l’absence d’entrées plus récentes. Ses activités afférentes à la maison du Cardinal lui laissaient dans le même temps le loisir de poursuivre ses recherches sur l’ alcaest , le solvant universel dans lequel toute substance pourrait être dissoute et qui, croyait-il, aiderait à produire des médicaments capables de guérir toutes les maladies.
Connaissant la nature complexe de mon père, il ne m’avait pas paru étrange qu’un homme gagnant sa vie comme empoisonneur ait aussi cherché à trouver la clé permettant de sauver des vies. Toutefois, cela me préoccupait de savoir que ses recherches l’amenaient à remettre en question la nature même de la maladie, car c’était un postulat extrêmement dangereux dans un monde où l’on avait décrété que la souffrance était l’expression de la volonté de Dieu. Mais je ne trouvai aucune indication à ce sujet dans ses notes. En fait, j’y trouvai bien peu d’informations.
Frustrée, je remis tout en place et verrouillai le coffre. Je dus rassembler toute ma volonté et ma force physique pour me lever. Au moment où j’étais en train de changer d’avis concernant l’opiacé, on frappa à la porte.
C’était le capitaine des condottieri. Il inclina la tête avec grâce, tout en me mettant à nu de son regard perçant.
— Buonasera , Donna Francesca. Son Éminence vous mande auprès de lui.
Et il avait envoyé le capitaine de sa garde pour me le dire ? Un geste pour le moins inattendu, à moins que le Cardinal n’ait changé d’avis concernant son acte de clémence envers moi – auquel cas Vittoro Romano ne m’aurait pas scrutée avec une telle bienveillance.
— Comme c’est gentil de venir vous-même me le dire, Capitano Romano.
L’officier ne chercha pas à nier l’incongruité de son
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