Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
mien désormais) faisait qu’il était très difficile d’avoir des relations d’amitié, et plus encore des confidents. S’il n’avait pas voulu me dire ce qu’il était en train de faire, il était peu vraisemblable qu’il se fût confié à quelqu’un d’autre.
— Il est important de retrouver ces notes, reprit le Cardinal. (De nouveau, il me regarda droit dans les yeux.) Je compte sur toi pour te les procurer sans tarder.
— Je ferai de mon mieux, signore, naturellement. Mais tant que je ne sais pas ce à quoi se consacrait mon père, je ne peux vous garantir de découvrir si ces fameuses notes existent, et encore moins ce qu’il en a fait.
J’espérais simplement entendre le Cardinal m’éclairer sur ce point, à supposer que lui-même sût. À la place, il fit glisser un papier plié sur le bureau. Je le dépliai et y lus un nom, « S. Montefiore », ainsi qu’une adresse dans le Quarto Ebreo – le quartier juif. L’intérêt de Borgia pour ce lieu m’interpella. Comme tous les princes de la sainte Église, je ne lui présumais pas exactement d’amitié pour les juifs.
— Rends-toi là, m’expliqua-t-il. Et lorsque tu y seras, souviens-toi que tu agis en tant que personne attachée à mon service, et non en tant que fille de ton père. Suis-je clair ?
Il ne l’était pas, bien sûr, mais je l’en assurai quand même.
Je m’étais levée, et un secrétaire était en train de me faire sortir lorsque Borgia me donna une ultime instruction.
— Francesca, s’exclama-t-il.
L’emploi de mon prénom me fit sursauter. Je me tournai si vivement que chaque muscle de mon dos endolori fut transpercé de douleur. Les dents serrées, je répondis :
— Signore ?
— À compter de maintenant, ne sors plus sans escorte.
Escorte qui observerait mes moindres faits et gestes et rendrait compte au Cardinal d’où j’allais, de qui je voyais, de ce que je faisais. Tout en moi se révolta à cette idée. Enfin, presque tout. Le souvenir de mon agression était encore omniprésent, et une petite part de moi acceptait de renoncer à ma liberté. Après tout, ce n’était pas comme si j’avais le choix. C’était la volonté d’Il Cardinale.
— Soit, signore, approuvai-je avant de prendre congé.
5
L es entrées du quartier juif étant fermées du crépuscule à l’aube, les ordres du Cardinal durent être remis au lendemain matin. Mais même ainsi, il me fallut passer une heure dans un bain chaud avant d’être en mesure de me mouvoir normalement – ou de ce qui en approchait le plus.
Mes côtes me faisaient toujours atrocement souffrir mais pour le reste, la douleur se réduisait désormais à un sourd élancement. Le bleu sur mon front (Dieu merci le seul que j’avais au visage) s’était considérablement assombri, mais je parvins à le dissimuler avec une mèche de cheveux. Cela impliquait toutefois de les laisser lâchés, pour une fois, ce à quoi je n’étais guère habituée.
J’étais en train de fermer la porte de ma chambre quand je faillis me cogner à Vittoro Romano.
— Capitaine, quelle surprise.
D’autant plus qu’il ne portait pas son uniforme. À la place, le chef des condottieri avait revêtu un pourpoint et des chausses très ordinaires, tenue qu’un modeste commerçant aurait pu porter.
— Buongiorno , Donna Francesca, dit-il dans un sourire. J’espère que vous vous sentez mieux ce matin ?
— Oui, tout à fait. Puis-je demander la raison de votre présence ici ?
— N’est-il pas vrai que vous avez une course à faire en dehors du palazzo ?
Bien entendu, tout comme il était vrai que le capitaine le savait et savait aussi qu’Il Cardinale avait ordonné qu’on m’escorte. Toutefois, je n’avais pas prévu qu’il s’en chargerait lui-même.
— Je pensais que quelqu’un d’autre m’accompagnerait, me justifiai-je tandis que nous avancions dans le couloir, vers les escaliers. En fait, j’avais espéré pouvoir orienter son choix vers quelqu’un de jeune et d’inexpérimenté qui serait plus maniable, ne sachant probablement pas comment gérer une femme d’autorité.
Vittoro sembla lire dans mes pensées car il me fit un grand sourire, un exercice peu courant pour cet homme habituellement sombre.
— Cela fait un moment que je ne suis pas allé dans le quartier juif. Je suis curieux de voir ce qu’il s’y passe.
Je savais à quoi il faisait référence. Depuis quasiment trois mois que Leurs Majestés très catholiques,
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