Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
pour cette fois. Si tu nous écoutes, peut-être même que tu resteras en vie.
J’eus un mouvement de recul et je les maudis pour cela, je me maudis et je maudis l’horreur de ce qui était arrivé à mon père, de ce qu’il avait dû ressentir au moment de mourir.
Et puis tout fut fini ; mes agresseurs étaient partis. Ne restaient plus que les pavés humides, durs et pointus sous moi, la pestilence de la rue, et l’air frais soufflant sur ma peau nue.
Tout cela, et la vieille femme qui me regardait depuis le balcon d’un appartement, au-dessus d’une échoppe que tout le monde avait désertée au premier signe de danger. Juste une vieille femme, tricot en main, dont la bouche édentée s’étirait en un grand sourire tant l’épisode dont elle avait été témoin dans la ruelle crasse l’avait amusée.
4
J e retournai discrètement au palazzo en passant par une entrée dérobée. Tenant tant bien que mal mes côtes contusionnées, je pris un étroit escalier dissimulé dans le mur sans être vue. Une fois dans ma chambre, je m’écroulai sur le lit, tremblante. Pendant un bref instant, je capitulai devant le tourbillon d’émotions qui menaçait de me dévorer.
Ces hommes m’avaient dressé un guet-apens ; ou bien, ils m’avaient suivie sans que je m’en aperçoive. Dans les deux cas, on avait délibérément choisi de m’attaquer, tout comme mon père avant moi – de cela il n’était plus permis de douter. Mais pour quelle raison ? À quoi était-il en train de travailler pour qu’on le tue délibérément ? Quelle était cette chose que quelqu’un voulait m’empêcher de découvrir ?
Si ces questions me tourmentaient, le chagrin que je ressentais pour mon père allait bien au-delà de la peur que j’éprouvais pour moi. Avant cela, je n’avais pu qu’imaginer ce qui lui était arrivé. À présent je savais de première main ce à quoi avaient dû ressembler ses derniers instants de vie. Un nouvel élément prompt à nourrir la haine s’était fait jour en moi et gagnait à présent en force à chaque respiration laborieuse.
La haine de ces hommes qui m’avaient fait céder et sangloter comme une enfant. La haine des meurtriers de mon père qui, s’ils ne faisaient pas qu’un avec mes agresseurs, étaient certainement liés à eux. Et par-dessus tout, la haine de quiconque avait donné les ordres. Cet homme, qui était bien tranquille quelque part puisqu’il avait gardé les mains propres, devrait souffrir plus que tous les autres. J’y veillerais personnellement.
Je parvins enfin à m’asseoir, et à sécher mes larmes. Mieux valait me passer d’aide, au risque de déclencher un tourbillon de rumeurs et de spéculations : je devais me soigner seule. Je grimaçai de douleur en ôtant mes vêtements, à tel point que je dus me mordre les lèvres pour ne pas crier. Côtes et estomac avaient reçu le gros des coups, mais des bleus étaient en train de se former sur mes bras, mes jambes, et lorsque je regardai par-dessus mon épaule dans le miroir, je vis que mon dos était déjà un patchwork de taches violettes évoquant, par la taille et la forme, des bottes pointues.
Au prix de suprêmes efforts je parvins à appliquer du baume sur les zones les plus touchées et à mettre un bandage sur mes côtes, que je soupçonnais d’être fêlées. Le temps d’accomplir tout cela et d’avoir passé des habits propres, mes mains tremblaient et mon épuisement était tel que je fus obligée de m’allonger de nouveau sur le lit, de me caler contre un traversin et de prier pour que le sommeil m’emporte.
Il arriva, mais ne fut que trop bref. Rapidement, le pénible endolorissement qui avait envahi chaque centimètre de mon corps me réveilla. Je caressai l’idée de prendre un opiacé, mais décidai de m’en passer. Le soulagement de la douleur s’accompagnerait d’une perte de contrôle que je ne pouvais me permettre. À la place, je me forçai à sortir du lit et m’agenouillai à côté du coffre en bois sculpté. L’ouvrir m’ôta quasiment toute force ; je dus marquer un temps d’arrêt pour reprendre mon souffle, luttant comme je devais le faire contre la douleur fulgurante qui me transperçait à chaque respiration. Ménageant mes forces, je retirai les vêtements un à un du coffre, jusqu’à atteindre ce qui paraissait être le fond.
Quiconque soupçonnant la présence d’un double fond chercherait une fente qui, en faisant levier, révélerait un
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