Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
lieu de chercher à le voler.
Benjamin le fixa d’un air soupçonneux.
— Montre-moi le sou.
Ces exigences enfantines lui inspirèrent un soupir, mais Vittoro s’exécuta. Le jeune voleur regarda attentivement la pièce, puis tendit la main. Une fois dans sa paume, il soupesa le sou tout aussi précautionneusement avant finalement d’acquiescer d’un signe de tête.
— Bene . Je vais vous aider.
La foule parut satisfaite et se dispersa. Vittoro relâcha le garçon, qui resta où il était, les yeux fixés sur nous.
— Que cherchez-vous ? demanda-t-il.
Je sortis le papier que le Cardinal m’avait donné et le lui montrai, pensant qu’il me faudrait le lui lire. Mais Benjamin me surprit : il jeta un œil à ce qui y était écrit et hocha la tête.
— Je connais l’endroit. Venez.
Nous le suivîmes dans une rue bondée, avant de tourner dans une étroite venelle pour retomber dans une autre rue. Nous étions en train de nous enfoncer dans le labyrinthe du ghetto, tant et tant que je commençais à me demander s’il ne nous faisait pas tourner en rond. En chemin, nous empruntâmes des rues différentes des autres, où ni le fleuve, ni les masses grouillantes ne venaient empiéter. Derrière de hauts murs érigés de manière à ne rien laisser transparaître de ce qu’ils cachaient, des négociants juifs faisant affaire partout, de l’Angleterre à la lointaine Rus et aux souks du Maroc et de Constantinople, vivaient dans ce que la rumeur disait être une opulence débridée. Mais ils avaient beau jouir d’un plus grand confort que les autres membres de leur tribu, ils n’étaient pas plus libres de vivre en dehors du ghetto qu’eux. Pour jouir d’une telle liberté, la seule issue possible était de renier sa foi. Un certain nombre de juifs avaient emprunté cette voie et étaient devenus des conversi , mais non sans en avoir payé le prix fort. Ils avaient été les premiers à être reconnus coupables d’hérésie, et les premiers à brûler sur le bûcher.
Nous débouchâmes enfin dans une ruelle tortueuse et sombre. Une file désordonnée s’étirait devant ce qui semblait être l’échoppe d’un apothicaire. Plusieurs personnes tenaient des enfants malades dans leurs bras. D’autres soutenaient des amis ou des proches incapables de tenir debout.
— Couvrez-vous le visage, m’ordonna Vittoro tout en tirant prestement un bout de sa chemise pour en faire de même.
J’obéis. Je ne pouvais m’empêcher de jeter des coups d’œil furtifs autour de moi, mes yeux se plissant de plus en plus à mesure qu’ils enregistraient la misère qui nous cernait de toutes parts. Je vis des plaies suppurantes, des blessures qui s’étaient infectées, des corps squelettiques qui souffraient le martyre ne serait-ce qu’en respirant, des individus si proches de la mort qu’ils avaient perdu connaissance. Avec la plus grande difficulté, nous atteignîmes la porte de l’apothicaire au moment où une femme d’âge moyen l’ouvrait.
— Binyamin, s’exclama-t-elle. Que fais-tu ici ?
Le garçon, qui n’avait pas pris la peine de se couvrir le visage, la regarda d’un air assuré.
— Benjamin, Signora Montefiore. Per favore , mon nom est Benjamin.
— Balivernes. Tu n’as rien à faire ici. Tu n’es pas en sécurité.
— Si, j’ai quelque chose à faire, signora. J’ai amené ces deux-là, qui veulent te voir.
Il fit un pas de côté et, avec un grand geste du bras, nous désigna tous deux.
En nous voyant, la femme fronça les sourcils. Son regard se posa sur moi alors que sans réfléchir je baissais le châle qui me recouvrait le visage. Après m’avoir examinée un instant, elle demanda doucement :
— Qu’est-ce qui vous amène ici, madame ?
Me souvenant du nom écrit sur le papier que le Cardinal m’avait donné, je lui répondis :
— Je cherche Signore Montefiore, ton mari peut-être ?
Un faible sourire éclaira le visage exténué de la femme, qui était encadré de mèches de cheveux argentés échappées d’un fichu noué à la hâte.
— Alors, tes recherches resteront vaines. Voilà dix ans que mon mari est mort. Je m’appelle Sofia Montefiore. Je pense que c’est moi que tu veux voir.
Elle s’effaça pour nous laisser passer.
Une fois à l’intérieur, je jetai un coup d’œil rapide autour de moi, qui vint confirmer ce que je soupçonnais déjà : l’échoppe servait à la fois d’hôpital et de mouroir. Chaque centimètre du plancher ou
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