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Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia

Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia

Titel: Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sara Poole
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femme l’avait entendue. La mare de sang qui s’était formée sous elle laissait à penser qu’elle était déjà bien au-delà de telles considérations.
    Je tournai les talons et dans ma précipitation me cognai contre Vittoro. Il posa promptement le coffre contenant les médicaments et me saisit le bras.
    — Donna, vous allez bien ?
    De grâce, j’étais l’empoisonneuse du cardinal Borgia en personne, l’un des hommes les plus craints de toute la chrétienté. J’avais tué un homme à peine trois jours plus tôt pour parvenir à mes fins. J’avais survécu à un passage à tabac et juré de venger mon père. Je n’étais pas (et n’avais jamais été) faible.
    Mais j’étais terrifiée. Ayant toujours vécu uniquement avec mon père (sans mère, tantes, sœurs, ou cousines), je n’étais pas aguerrie à la réalité de l’accouchement comme devrait l’être toute jeune femme. Au contraire, cet acte d’une violence inouïe qui avait tué ma propre mère me paraissait étrange et grotesque.
    Au lieu de lui répondre, je me concentrai pour me ressaisir et me passer de son appui. Le jeune homme était penché en avant et sanglotait. Sofia dit autre chose, que je n’entendis pas ; peut-être était-ce un juron. Ne le voyant pas réagir, elle tendit le bras sous la paillasse, s’empara d’un couteau qu’elle avait dû cacher là et…
    La jeune femme hurla. Si longtemps que son cri alla se répercuter contre les murs oppressants et sembla faire vibrer l’air tout autour de nous. Il était empreint d’une telle angoisse qu’on avait dû l’entendre jusque dans les fosses de l’Enfer. Enfin, le souffle de vie l’abandonna ; elle gisait inerte, les yeux grand ouverts mais ne voyant plus, dans les bras du jeune homme.
    C’est alors qu’un autre cri se fit entendre, bien plus faible, le geignement d’une nouvelle vie née de la mort. Je vis le nourrisson taché du sang de sa mère, je vis Sofia lâcher le couteau ensanglanté, je vis l’expression sur son visage, et puis je ne vis plus rien que le sol.
    Quelle humiliation ! Pendant longtemps, par la suite, je me mentis à moi-même en prétendant ne pas m’être évanouie à la vue du sang. Je m’étais plutôt assise brusquement, oubliant qu’il n’y avait pas de chaise sous moi. Vittoro, que Dieu le bénisse, ne reparla jamais de cet incident. Je pus donc continuer à me bercer de douces illusions, même si je connaissais la vérité.
    Le temps que je revienne à moi, on avait eu la décence de fermer les yeux de la morte et de recouvrir son corps, quelqu’un était en train d’emmener son mari éperdu et Sofia, épuisée, avait confié le nourrisson enveloppé dans un bout de couverture crasseuse à une pâle jeune femme qui lui proposa son sein ratatiné d’un air las.
    Ne me demandez pas si l’enfant a survécu : je n’en ai aucune idée. Mais en toute honnêteté, il faut bien admettre que ses chances de s’en sortir étaient plutôt ténues.
    Une demi-heure plus tard, j’étais assise en face de Sofia Montefiore à l’arrière de l’échoppe, en train de lui donner le choix entre accepter l’aide que je lui proposais ou bien s’exposer à la colère du Cardinal. Je ne fus pas certaine au départ qu’elle m’ait bien comprise tant elle s’était repliée sur elle-même, retirée du monde vers le lieu où l’on va quand la vie devient insupportable. C’était un lieu que je connaissais bien, m’y étant moi-même réfugiée à la mort de mon père, et ayant été tentée d’y retourner après avoir été rouée de coups. Par bonté d’âme j’aurais pu l’y laisser quelques minutes, mais c’était un élan que j’étouffais, en cet instant-là.
    — Il faut que tu te décides, étais-je en train d’insister. Je peux t’aider en t’apportant des médicaments et de la nourriture, mais en échange tu dois me raconter tout ce que mon père t’a dit et me donner ce qu’il t’a confié.
    Sofia me regarda, regard creusé et lèvres livides. Si doucement que je dus me pencher en avant pour l’entendre, elle dit :
    — Je te le répète, il n’a rien laissé ici.
    Je savais qu’en cela, tout au moins, elle disait peut-être vrai. Mon père avait toujours été un homme prudent et, par ailleurs, ma vanité était telle que je ne pouvais le croire capable de faire confiance à quelqu’un d’autre que moi.
    Mais j’avais également la certitude qu’elle ne me disait pas tout.
    — Ceci, annonçai-je en

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