Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
maison de Rocco me rongeait, bien que je n’eus pas d’autre choix.
— Je l’ai envoyé à la campagne, chez sa grand-mère.
Je hochai la tête de soulagement. Nous attendîmes, assis à table, en silence ou presque jusqu’à l’arrivée du prêtre. Il entra discrètement, visiblement en proie à la nervosité, et fronça les sourcils dès qu’il vit David.
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
Ce n’était qu’un détail, et mesquin de ma part de le relever, mais pourtant il se logea dans mon esprit : lorsqu’il avait posé la même question, Rocco, lui, avait dit « qui ».
Je mis cela sur le compte de l’état de frayeur du prêtre, qui n’avait rien de déraisonnable au vu des circonstances. Il semblait interloqué au point de fuir séance tenante – et je n’aurais su l’en blâmer. En tant que converso , songeai-je, il devait vivre chaque jour dans la crainte d’être découvert.
— C’est un ami, rétorquai-je. On peut lui faire confiance.
— Vous n’auriez pas dû…, commença Morozzi, mais il s’arrêta net en voyant David faire un pas en avant.
— Je ne représente aucun danger pour vous, Curé. Il me reste à espérer que vous n’en représentez pas pour moi non plus.
Le silence s’installa entre les deux hommes, jusqu’à être brisé par Rocco.
— Allons, au travail.
— Très bien, fit Morozzi malgré une réticence patente. (Il se tourna vers moi.) Êtes-vous prête ? Avez-vous le nécessaire ?
Je lui assurai que c’était le cas, et étais sur le point de lui demander comment il comptait nous faire entrer dans le castel lorsqu’il m’interrompit.
— Faites-moi voir.
— Voir quoi ?
Étant prise au dépourvu, je fis ce que je fais toujours en pareil cas : tenter de gagner du temps pour remettre de l’ordre dans mes idées.
— Ce que vous avez l’intention d’utiliser. Je veux le voir. (Voyant que je continuais à le fixer sans rien faire, il s’impatienta.) Vous n’escomptez tout de même pas que je prenne tous les risques pour vous amener auprès du pape sans avoir la certitude que vous êtes réellement capable de le faire.
— Sa parole ne vous suffit-elle pas ? lança David impérieusement en fronçant les sourcils.
Rocco semblait également mal à l’aise.
— Francesca ne serait pas là si elle n’était pas prête.
Je posai la main sur le bras de David pour lui donner un avertissement silencieux, adressai un sourire rassurant à Rocco et glissai l’autre main sous ma robe. Lentement, je tirai le médaillon doré, encore tout chaud d’avoir reposé sur ma poitrine.
L’objet attira toute l’attention du prêtre.
— Vous voulez le voir ? m’exclamai-je. Très bien.
J’ouvris le médaillon, révélant le losange que j’avais fabriqué pour ma propre consommation.
— Mais ne vous approchez pas trop. C’est le poison le plus mortel que je connaisse, capable de tuer en quelques minutes. Avec ça, il est impossible d’échouer.
Morozzi l’observa un long moment, ses yeux avides me mettant mal à l’aise. Son comportement était pour le moins incongru, au vu de l’importance et de la dangerosité de notre entreprise. Finalement, il dit :
— Bien, nous pouvons y aller.
Alors que je fermais le médaillon et le glissais sous mes vêtements, David me décocha un regard intrigué. Si nous avions été seuls, je lui aurais expliqué qu’il valait mieux, selon moi, que le prêtre en sache le moins possible. Mais vu les circonstances je me contentai de faire un geste discret de la main, destiné à lui seul, et priai pour qu’il comprenne la raison pour laquelle je ne faisais pas confiance à Morozzi s’agissant de la façon dont Innocent allait mourir, alors que l’homme avait nos vies entre ses mains, pour ainsi dire. Mais David sembla accepter ma décision, car au bout d’un moment il hocha la tête en silence.
Entre-temps Morozzi avait sorti une tenue, et me la tendait.
— Je ne savais pas que vous seriez deux, expliqua-t-il. Je n’en ai amené qu’une.
Je pris l’ample robe de moine en laine marron qui dissimulerait à merveille mes courbes féminines, et la revêtis.
— Et David ? Nous devons trouver le moyen de le déguiser, insistai-je.
Un prêtre et un moine arrivant ensemble au castel attireraient peut-être l’attention, mais personne ne viendrait leur demander d’explications. Mais un homme qui ne serait pas en livrée ou ne porterait pas l’insigne d’une grande maison serait en revanche
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