Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
traité très différemment.
— Attendez, intervint Rocco, et il se rendit à l’arrière de son échoppe, où une petite échelle menait au grenier. Il revint peu après, une robe blanche et une grande cape noire à la main.
— Cela devrait vous aller, dit-il à David en lui tendant le tout.
— C’est la tenue que portent les frères dominicains, s’exclama Morozzi. Comment vous l’êtes-vous procurée ?
Manifestement, il ne connaissait pas l’histoire de Rocco.
— Je l’ai trouvée ici à mon arrivée, répliqua sans attendre l’intéressé.
David hésita un instant. Je comprenais sa réticence à revêtir un habit associé aux dominicains, eux qui comptaient dans leurs rangs l’ignoble Tomás de Torquemada, Grand Inquisiteur d’Espagne, l’un des principaux auteurs de l’édit expulsant les juifs de son pays. Mais il n’avait pas vraiment le choix, et le savait.
Les vêtements le recouvraient de la tête aux pieds. Une fois son capuchon relevé, il ne fut plus qu’un ecclésiastique parmi tant d’autres qui allaient et venaient entre le château Saint-Ange et le Vatican, sans se faire remarquer ni questionner.
— Merci, dis-je en serrant la main de Rocco. Malgré la chaleur de la soirée, elle était froide. Regardant furtivement les deux hommes, il me prit à part pour me parler.
— Quelle que soit la volonté de Dieu, tu en as assez fait, Francesca. Laisse-moi aller à ta place. Tu n’aurais qu’à me donner tes instructions.
Ne voulant pas m’entendre protester, il poursuivit :
— Morozzi n’y verra pas d’objection ; il ne se sent pas à l’aise avec les femmes, de toute façon. Et assurément, si tu dis à David qu’il peut me faire confiance, il n’aura d’autre choix que de te croire.
La générosité de son offre faillit bien m’anéantir. Comment même envisager que non seulement il me remplace dans une entreprise aussi périlleuse, mais également endure le fardeau de l’acte que j’avais l’intention de commettre, le meurtre d’un pape ? Tout autant que Rocco, je voulais croire que c’était la volonté de Dieu de voir Innocent mourir avant d’avoir le temps de commettre un acte qui engendrerait des centaines de milliers de morts. Mais si nous avions tort ? J’étais prête à risquer mon âme, mais certainement pas celle de Rocco.
Par ailleurs, il n’y avait pas que cela qui entrait en ligne de compte.
Je souris faiblement et lui touchai de la main une joue rendue rugueuse par la barbe d’un jour.
— Du fond de mon cœur, je te remercie. Vraiment, tu es le plus valeureux des amis. Mais tu es également père, et jamais je ne pourrais accepter quoi que ce soit qui puisse potentiellement faire de Nando un orphelin.
Je laissai retomber ma main et fis un pas en arrière.
— C’est mon combat. Je dois le mener.
Et sans lui laisser le temps de répondre, je me détournai de lui.
Morozzi, David et moi sortîmes dans l’obscurité. Rocco nous regarda partir depuis le pas de sa porte. L’espace d’un instant, alors que je passais devant lui, je vis sa main se lever et songeai qu’il allait tenter de me stopper. Mais il se ravisa, la tristesse dans son regard me disant qu’il se résignait à accepter ce qui ne pouvait être changé.
Morozzi allait d’un bon pas, confiant et alerte. Il semblait ne pas se soucier des patrouilles à pied et effectivement, lorsque notre chemin en croisa une, les hommes s’écartèrent précipitamment pour le laisser passer. Sa robe d’ecclésiastique tout autant que ses manières (il possédait l’arrogance naturelle de ceux qui ont reçu les dons de la nature à l’excès) agissaient comme un avertissement à quiconque aurait été tenté de nous importuner.
Nous traversâmes le Pons Ælius, et nous dirigeâmes directement vers la porte principale du castel . La masse sombre s’élevant au-dessus de la ville était illuminée par une centaine de torches, dont la lumière créait des reflets argentés et miroitants dans le fleuve qui coulait lentement en contrebas. J’avais pensé que Morozzi connaîtrait peut-être quelque entrée secrète, comme cela doit assurément exister dans un édifice vieux de plus de mille ans. Mais si c’était le cas, il ne prit pas la peine de l’utiliser. Il nous fit passer au contraire devant les gardes qui, comme je l’avais espéré, ne firent même pas mine de nous empêcher d’entrer.
L’imposante forteresse se détachant au-dessus de nous n’aurait pu être
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