Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
mieux conçue pour faire naître la peur chez tous ceux qui y entraient, même pour la plus innocente des raisons. Construite à l’origine pour être le mausolée de l’empereur Hadrien et de sa famille, elle conservait certaines traces de charme classique, mais la majeure partie en avait disparu il y avait des siècles de cela, lorsqu’elle avait été transformée en fort et en prison. Dès que nous entrâmes dans la petite cour, juste après l’entrée (la cour du Sauveur comme on l’appelait, par ironie pour ceux qui ne quittaient jamais le castel vivants), je sentis les murs se refermer sur nous et le désespoir s’instiller en moi. De là, nous gagnâmes le hall d’entrée. La température chuta et je me mis à trembler, bien que ce ne fût pas entièrement à cause du froid. De nouveau, des gardes étaient stationnés ; de nouveau, ils nous laissèrent passer.
— Vous êtes connu, dis-je à Morozzi de la voix la plus basse possible.
Il hocha la tête.
— Je me suis donné beaucoup de mal pour y parvenir. Ce qui est familier et habituel n’éveille pas les soupçons.
Nous poursuivîmes notre chemin, passant devant l’énorme statue d’Hadrien, qui n’était plus que l’ombre d’elle-même depuis le sac de Rome par Alaric ier, roi des Wisigoths. Depuis son socle, l’empereur semblait nous lancer un regard furieux à nous, les descendants de ceux qui avaient laissé son héritage être dilapidé. Plus loin se dressait la large rampe en colimaçon, construite plus récemment sur toute la hauteur de la forteresse pour faciliter l’accès aux étages supérieurs. Nous entreprîmes de la monter à la lueur des torches fixées le long des murs, qui révélèrent un un pavement de mosaïque noire et blanche en piteux état et des colonnes en marbre qui s’effritaient. Tout ici nous parlait de la grandeur d’une autre époque.
Je savais, comme tous les Romains, qu’au premier étage de la forteresse se trouvaient les cellules. Je ne vis aucune entrée y menant, ce qui semblait ajouter foi à la rumeur selon laquelle les prisonniers étaient descendus à l’aide d’une corde dans ces tombeaux où on les enterrait vivants. Cette seule vision m’aurait remplie d’horreur si les événements de la journée ne m’avaient pas laissée dans un état de stupeur. Tout de même, j’étais très heureuse de sentir la force tranquille de David à mes côtés.
À l’étage suivant se situaient les quartiers des militaires et l’arsenal. Ici, tout au moins, on avait accès à l’air libre sous la forme de grandes cours, mais avant de pouvoir les atteindre il fallait traverser la crypte où les restes de l’empereur avaient été enterrés. Tout avait disparu bien entendu, de nouveau à cause du pillage de la ville, jadis, mais l’oppressante sensation de mort persistait.
Je commençai à respirer avec un peu plus d’aisance lorsque nous entrâmes dans la cour d’honneur. Le castel étant une forteresse militaire autant qu’une prison, on trouvait ici plusieurs canons à la taille impressionnante, que l’on pouvait pointer vers la ville pour repousser les éventuels attaquants. Les quartiers des officiers et des troupes donnaient sur cette cour intérieure. Je priai pour qu’aucun d’entre eux, regardant justement par sa fenêtre à ce moment-là, ne se demande pourquoi diable ces trois individus passaient par là, à cette heure avancée et au pas de course qui plus est.
Juste avant de quitter la cour, je levai les yeux vers la statue qui s’élevait au-dessus de la forteresse : l’archange Michel dans toute sa gloire, remettant son épée au fourreau pour proclamer la fin de la peste qui avait dévasté Rome neuf siècles auparavant. Le castel avait été renommé en son honneur et depuis, son incarnation en pierre dominait les cieux romains. Je le voyais à présent se découper contre le ciel étoilé, et l’implorai en silence pour que, dans sa puissance et sa fureur, il nous protège.
Après la cour nous accédâmes au réfectoire des officiers, où l’on avait disposé de grandes tables et des bancs. Les murs étaient recouverts des scènes martiales idoines en ce lieu, et ornés de bannières. Plusieurs capitaines et lieutenants se trouvaient là, buvant joyeusement. Ils nous regardèrent passer mais de nouveau, personne ne nous demanda d’explication.
J’eus le temps de songer que le castel avait été conçu pour obliger les envahisseurs réussissant à ouvrir une
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