Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
Ah ! ah ! ah !
Avez-vous remarqué comment ceux qui tuent par milliers ne manquent jamais de se réclamer de la faveur divine, tandis que ceux qui tuent à une échelle bien plus modeste (comme moi, par exemple) savent dans leur cœur que Dieu pleure pour leurs péchés ?
Mais ce genre de fardeau n’était pas pour Morozzi. Il s’enfuit précipitamment, sans doute pour prévenir la garde, nous abandonnant aux supplices que nous n’allions pas tarder à subir.
17
L’ horreur absolue de ce qui nous attendait au retour de Morozzi arracha le voile de stupeur qui m’avait enveloppée jusqu’alors, et me poussa à agir.
— Vite ! m’écriai-je, l’écho de ma voix résonnant faiblement contre les murs de pierre. Il faut trouver le moyen de sortir d’ici.
Par miracle, David avait déjà un plan.
— Allons chacun d’un côté, lança-t-il.
Je pris le temps de remercier Dieu de m’être retrouvée dans ce traquenard avec un homme capable de garder la tête froide. Nous nous ruâmes dans des directions opposées, tâtonnant dans le noir le long des murs de cette pièce sans fenêtres. Mes mains froides glissaient. Morozzi serait de retour dans quelques minutes, accompagné de renforts. Ces derniers témoigneraient de notre présence dans le castel déguisés en moines, et le prêtre brandirait mon médaillon contenant le losange empoisonné. Rien de ce que nous (ou Borgia) pourrions dire n’expliquerait cela.
J’espérais trouver une porte, un passage, n’importe quoi qui puisse nous aider, mais j’arrivais déjà à un angle du mur et n’avais tâté que de la pierre. Je persévérai.
— Je crois savoir où l’on se trouve, lança David dans le noir.
Je fus heureuse d’entendre sa voix, qui paraissait totalement calme – la mienne trembla légèrement lorsque je parlai.
— Où ?
— C’est la pièce où ils font descendre les prisonniers dans les cellules. Je viens de trébucher sur l’une des trappes au sol.
Il y avait donc bien une issue, mais qui nous ensevelirait – exactement comme Morozzi l’avait prévu.
— Il doit bien y avoir une autre porte, insistai-je. Un moyen d’atteindre les pièces situées au-delà de celle-ci.
— Effectivement, il pourrait y avoir d’autres passages, répliqua David. Cette forteresse est un véritable labyrinthe. Elle a été construite et reconstruite pendant des siècles. Certaines pièces ont dû être scellées, des murs déplacés, des planchers entiers abaissés ou relevés. Cela m’étonnerait qu’elle ait livré tous ses secrets à quiconque.
J’avais bien peur qu’il n’ait raison. Il faudrait vivre là pendant des années et avoir la possibilité de l’explorer tout à loisir pour en connaître les moindres coins et recoins.
À cet instant, une sombre pensée s’abattit sur moi : on n’allait pas s’en sortir. Je tentai bien de la repousser mais elle s’accrochait sans pitié, me forçant à affronter une réalité qui ne saurait être niée davantage. Si je ne remettais pas en question le courage de David, ni le mien d’ailleurs, je pressentais que lui comme moi finirions par parler sous la torture. Car assurément, je serais incapable de résister au genre de supplices auxquels j’avais assisté dans la chambre de torture de Borgia.
Et quand je parlerais (non pas « si », mais « quand »), les juifs de Rome seraient condamnés. Sofia, Benjamin et tous les autres mourraient. La terrible vérité était que Morozzi avait raison. Lorsqu’il aurait prouvé qu’un complot pour tuer Innocent existait bel et bien, la ville entière se soulèverait contre le ghetto et ses habitants. Et cela ne s’arrêterait pas là. Édit ou pas, les juifs subiraient des attaques à travers toute la chrétienté.
Comprenez-moi bien, je tiens à ma propre vie autant qu’à celle d’autrui. Dans l’angoisse qui m’avait submergée après le meurtre de mon père, j’étais prête à tout pour le venger ; mais d’une certaine manière c’était un acte égoïste, guidé par une pulsion. Cette situation-ci était différente. Si les juifs mouraient, en quoi cela m’importait-t-il ? Ils étaient, pour la plupart, des anonymes à qui je ne me sentais aucunement liée. Ou bien si ?
Je cessai mes tâtonnements le long du mur, et laissai retomber mes mains. Soigneusement, ainsi qu’il convenait de le faire en pareille situation où mon âme était en jeu, je contemplai les solutions qui s’offraient à moi. Le suicide est
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