Francesca la Trahison des Borgia
cela, et je partageais les craintes de Renaldo, même si je n’étais pas près de l’admettre. Les marins revenaient fréquemment avec toutes sortes de maux, mais celui-ci était différent. Les rapports concordaient tous sur un point : personne n’avait jamais vu la maladie qui était en train de tuer le sous-capitaine de la flotte de Colomb. Et il n’était pas non plus le seul à en souffrir ; plusieurs de ceux qui avaient navigué avec le grand explorateur en étaient également frappés. Certains rapports mentionnaient même (mais cela restait à confirmer) que ces mêmes symptômes étaient en train de faire leur apparition parmi les prostituées de Barcelone, la ville dans laquelle une grande partie de l’équipage s’était rendue une fois revenue sur la terre ferme.
— Nous devons prier pour lui, répondis-je solennellement.
Renaldo prêta toute l’attention voulue à ma remarque.
— Bien sûr, bien sûr, fit-il. Mais concernant le décret – vous en êtes absolument certaine ?
Je l’en assurai et invoquai un rendez-vous pressant, sans m’étendre davantage. Quelques instants plus tard, je traversai la vaste place débordant comme à son habitude de marchands, badauds, prêtres, religieuses, pèlerins, dignitaires, et ainsi de suite. Le Vatican était le lieu de tous les commerces, spirituels comme temporels.
Le soleil qui poursuivait sa course vers le couchant me réchauffait le visage, et j’eus l’impression de pouvoir véritablement respirer pour la première fois depuis des heures. Même les muscles de ma nuque, qui s’étaient contractés à mesure que ma présence auprès de Borgia se prolongeait, se détendirent ne serait-ce qu’un peu. Derrière moi se dressait, menaçant, ce colosse aux pieds d’argile qu’était la basilique Saint-Pierre, vieux de plus de mille ans et en terrible danger de s’écrouler. Je ne regardai pas dans sa direction mais comme toujours, je fus vivement consciente de sa présence.
Certains événements de l’année écoulée me hantaient encore. Que ce soit dans mon sommeil ou à l’état de veille, je revivais constamment ma quête désespérée dans le labyrinthe de la basilique pour retrouver un enfant qu’un homme fou retenait prisonnier car il était déterminé à en faire sa victime dans un meurtre expiatoire. Ce que j’avais vu dans les catacombes grouillantes de cadavres était assez cauchemardesque comme cela, mais ce n’était rien en comparaison des moments de pure terreur qui avaient suivi sous le toit en ruine de Saint-Pierre, dans l’immense grenier abandonné.
Comme si tout cela ne suffisait pas, je ne cessais de me tourmenter en songeant qu’une maîtresse des ténèbres telle que moi devrait tout faire pour ne pas attirer l’attention divine, ce qui arriverait certainement si j’avais l’idiotie de vouloir pénétrer de nouveau dans ce lieu sacré.
Fort heureusement jusqu’à présent je n’avais pas eu à le faire, car Borgia méprisait ces mornes pierres ; par deux fois seulement il avait visité la basilique depuis qu’il était devenu pape, et il parlait régulièrement de la démolir. Il avait cette idée d’en construire une nouvelle, magnifique, qui avec le temps deviendrait le symbole de sa papauté. Malheureusement, les fonds nécessaires à une telle entreprise n’étaient pas dans les caisses pour l’instant, et n’étaient pas près d’y entrer.
C’était tout aussi bien que personne ne semble remarquer, et encore moins se soucier, que j’évitais de mettre les pieds dans Saint-Pierre. Il m’était impossible de me souvenir quand j’avais fait pour la dernière fois la confession préalable à la purification de l’âme. Il y avait bien eu cette nuit, l’été précédent, où j’avais fondu en larmes devant Borgia et admis la possibilité que le fait que j’aie peut-être tué le pape Innocent viii, l’élu de Dieu sur Terre, me troublait. Il avait insisté pour me donner l’absolution et moi, faible créature que je suis, j’avais accepté. Nous étions tous deux passablement ivres ce soir-là, ce qui explique peut-être en partie cela.
Depuis lors j’avais tué, mais pas plus de trois fois, toujours en réponse aux tentatives faites contre la vie de Borgia et avec autant de clémence que possible, si cela doit compter pour quelque chose. Je me disais que tuer pour défendre Sa Sainteté n’était pas pécher, ce qui ne veut pas dire qu’il ne m’arrivait pas de
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