Francesca la Trahison des Borgia
point d’aller voir mon père pour lui demander ma main. À présent qu’il me connaissait beaucoup mieux, je me plaisais à croire qu’il était content d’avoir essuyé un refus, ce jour-là ; mais il restait un véritable ami pour moi, ainsi que l’objet inavoué de mes fantaisies amoureuses. Avant que mon esprit ne s’aventure à essayer de deviner la raison de son absence, mon attention fut captée par une grande carte que le groupe était en train d’examiner.
— C’est Juan de la Cosa qui l’a dessinée, expliqua d’Amico, nommant ainsi le capitaine de La Santa Maria, le navire qui s’était échoué sur le récif de l’île que Colomb avait nommée Hispaniola. Une copie de cette carte sera bientôt entre les mains de Leurs Majestés très catholiques, Ferdinand et Isabelle. L’autre se trouve ici.
— Inutile de demander comment tu as réussi à l’obtenir, dis-je.
Entendant ma voix, l’autre femme présente leva les yeux.
— Je crois que nous avons tous notre petite idée là-dessus, intervint-elle avec un sourire. On raconte que de la Cosa est pour le moins mécontent de la façon dont le grand Colomb l’a traité, et qu’il est déterminé à s’attribuer tout le mérite dans cette affaire.
Sofia Montefiore était une femme d’âge moyen à la solide carrure, dont les cheveux gris rassemblés en un chignon désordonné encadraient un visage ordinaire mais agréable. Elle était également apothicaire et juive. Nous étions devenues amies l’année précédente, en partie parce que nous exercions toutes deux un métier d’homme.
Je me penchai en avant tout en l’écoutant parler, afin d’étudier la carte. De la Cosa y avait représenté un littoral qui ne ressemblait en rien aux Indes tel qu’elles étaient décrites par ceux qui s’étaient aventurés si loin, en quête d’épices qui valaient leur pesant d’or en Europe. Dans le cas qui nous occupait, le rivage ne s’apparentait à aucun autre. S’il avait raison… Par le diable et tous les saints, tant de choses en dépendaient.
— De la Cosa est-il en bonne santé ? demandai-je.
— Pas de pustules, répondit Luigi gaiement, en faisant une référence implicite à l’agonie de Pinzón. Pour autant que nous le sachions. Il semble avoir toute sa tête. Par ailleurs… (Il baissa la voix, nous forçant à tendre l’oreille pour entendre sa confidence.) N’oublions pas les pêcheurs de morue.
Là résidait le cœur du problème. Je présume que vous mangez de la morue comme nous tous ici, que c’est même une part considérable de votre alimentation, et donc que vous saisissez l’importance de cette remarque. Mais au cas où vous appartiendriez à une espèce inconnue de moi, laissez-moi vous préciser que cela fait des centaines d’années que les Portugais vont pêcher dans une immense zone au nord de l’Atlantique, dont ils répugnent à discuter en détail, et d’où ils rapportent à chaque fois assez de morue pour nourrir une bonne partie de l’Europe.
Certains de ces pêcheurs, lorsqu’ils ont trop bu, prétendent qu’il existe une terre à l’ouest de cette zone. D’aucuns disent même avoir rencontré des sauvages normands qui leur ont parlé d’autres contrées plus lointaines encore. Des contrées qui selon eux auraient été peuplées il y a quelques siècles de cela, mais seraient tombées depuis entre les mains de féroces barbares qui auraient bouté les Normands hors de là, ce qui était plutôt surprenant au vu de leur réputation, loin d’être usurpée, de pillards belliqueux.
Tout cela n’aurait été d’aucune importance si, à ce qu’il paraissait, Colomb et son frère n’avaient pas effectué un voyage vers le nord il y avait plusieurs années de cela, lors duquel ils avaient bravé le froid en mangeant de la morue et en buvant une liqueur claire et puissante en compagnie des Normands, qui leur avaient raconté toutes sortes de légendes sur des terres situées à l’ouest, dont il fallait des jours et des jours de marche pour en voir le bout.
À ce qu’il paraissait.
Je me penchai plus encore, afin d’étudier les détails de la carte. De la Cosa avait fait un travail minutieux, représentant toutes les îles qu’il avait rencontrées lors de ses pérégrinations mais les plaçant clairement à l’écart de ce qu’il croyait être un véritable littoral.
S’il avait raison…
— C’est étonnant, soufflai-je. Si les calculs sont corrects…
Je
Weitere Kostenlose Bücher