Frontenac_T1
convaincus, malgré leurs belles paroles et leurs maudites simagrées.
Louis était hors de lui et Callières fulminait en silence. Champigny prit à son tour la parole.
â Et par la suite, que sâest-il passé?
â Un deuxième détachement anglais et iroquois est apparu le jour suivant et sâest joint au premier. Il était dirigé par Schuyler. On se retrouvait face à plus de huit cents combattants, avec trois cents prisonniers et des dizaines de blessés.
â Schuyler... encore ce Schuyler de malheur, marmonna Louis, nous le trouverons donc toujours sur notre route, lâanimal!
Callières eut la même pensée. Le maire dâAlbany était un ennemi dangereux et rusé, qui leur tendait sans arrêt de nouveaux pièges.
â ... puis, reprit Bizaillon, ça a été une terrible mêlée... le 21 février, à huit heures du matin. Les clameurs de guerre ont retenti de partout à la fois. Les nôtres ont dâabord attaqué par deux fois les retranchements ennemis. Et on a engagé une troisième charge pour les forcer à reculer et les empêcher de sâinstaller. Mais en vain.
â Et nos Indiens, comment se sont-ils battus?
â Pour vous dire franchement, monseigneur, on ne sâest pas sentis beaucoup secondés par eux. On aurait dit quâils nâavaient plus le cÅur à lâouvrage. Les hommes tombaient pourtant des deux côtés. Nous, on a perdu pas moins de quatre soldats et trois miliciens, et on a eu une dizaine de blessés. On nâavait rien dâautre à manger quâun restant de farine, un peu de gras, nos ceintures et quelques sacs de peau dont on a fini par faire un bouillon. Faut voir quâon était encore de lâautre côté de lâHudson, à la merci dâun corps imposant quâon nâarrivait pas à repousser et encombrés de prisonniers hostiles.
â Quel merdier! Mieux vaut avoir dix ennemis quâun tel allié!
Louis sâétait remis à marcher pour ventiler sa rage. Callières continua.
â Comment vous en êtes-vous sortis?
Bizaillon sâétait redressé sur les coudes et son visage commençait à retrouver des couleurs. Le fait dâavoir survécu à de si terribles traverses et de pouvoir en témoigner devant un aussi prestigieux parti faisait naître en lui une fierté bien légitime.
â Là , je peux vous dire que ça a joué dur. Nos commandants ont rejoint nos sauvages dans leurs retranchements pour les forcer à lever le camp. Je ne connais pas le détail des arguments, mais ça a drôlement chauffé. Pendant des heures. Nous autres, de notre bord, on priait comme des madones. Faut croire que ça a été assez convaincant parce quâun peu avant lâaube, on décampait enfin. Trop contents de se tirer de là ... Une retraite qui sâest faite dans le plus grand silence et par une nuit sans lune. On a appris par la suite que les troupes de Schuyler avaient refusé de nous poursuivre et sâétaient mutinées, faute de provisions. Mais... la traque a repris de plus belle le lendemain, quand un groupe dâIroquois et dâAnglais est réapparu sur nos arrières. Comme la situation se corsait encore, monsieur de Manthet a libéré quelques prisonniers pour faire porter le message aux Anglais que sâils continuaient à nous serrer de trop près, on massacrerait les femmes et les enfants. Ãa a eu lâair de les calmer un peu parce quâils nous ont laissé prendre de lâavance. Puis on a enfin atteint lâHudson, quâil fallait traverser avant dâêtre rejoints par des troupes fraîches de Schuyler, réapparues soudainement sur notre droite et se hâtant de nous barrer la route. Câest alors que le miracle sâest produit!
â Le miracle, quel miracle?
Callières avait accompagné sa question dâune moue dubitative. Il se méfiait autant que Frontenac des histoires de curés.
â Câest un miracle, monseigneur, un vrai. Yâa pas dâautre mot. On ne peut pas sâexpliquer la chose autrement. Figurez-vous quâun embâcle sâest produit juste au moment où nos troupes se sont avancées sur la rivière. Des glaces « providentielles », câest le mot du père Sénécal, se sont amoncelées juste Ã
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