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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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s’inquiéter? Où sont-ils, à présent, et pourquoi diable ont-ils pris tout ce retard?
    C’étaient des questions auxquelles personne n’avait de réponse. Cette ignorance les obsédait. Autant Champigny que Callières. Car l’intendant s’était donné beaucoup de mal pour que les expéditionnaires ne manquent de rien, tant pour les provisions de guerre que pour les vivres. Il avait fait fabriquer plus de trois cents toboggans , et autant de paires de raquettes. Mais voilà qu’il faisait tellement doux que ces équipements s’avéraient à peine utilisables. Qui aurait pu prédire un tel réchauffement au cœur de l’hiver, se demandait Champigny, quand la température était si rigoureuse, en France même, que la Seine avait gelé et que les corps des miséreux morts de froid s’empilaient par centaines aux portes des villes?
    Callières, de son côté, ruminait des pensées à peine plus optimistes. C’était pourtant une expédition parfaite, autant dans sa conception que dans sa réalisation, se répétait-il depuis quelques jours, à la recherche de la faille dans ce beau plan. Car le climat trop doux ne pouvait tout expliquer. Il fallait que quelque chose d’autre ait cloché quelque part, mais quoi?
    Les troupes avaient quitté Chambly le 25 janvier, suivi la rivière Richelieu, longé le lac Champlain et progressé à marche forcée par la piste Kayadrosseras, guidées par des sauvages qui connaissaient le pays de fond en comble. Le 16 février, elles avaient atteint les deux premières bourgades ennemies qu’elles avaient prises sans résistance. Après avoir brûlé la première, elles s’étaient installées avec leurs prisonniers dans la seconde. Les Agniers n’avaient rien pressenti du danger, ce qui était exceptionnel. Le troisième village avait été appréhendé de la même manière et passé par les flammes, avec toutes ses réserves de maïs. Jamais une tribu iroquoise ne s’était laissé surprendre de cette façon, même dans les expéditions les mieux préparées des Indiens alliés. Ce parcours sans faute avait cependant achoppé sur le problème des prisonniers. Des dizaines d’Agniers s’étaient rendus à discrétion, enthousiasmés, assuraient-ils, par l’idée de venir vivre avec leurs compatriotes du Sault et de la Montagne. Callières savait d’expérience que s’il était facile de tuer un homme dans le feu de l’action, il était autrement difficile de l’exécuter de sang-froid, une fois désarmé. Les officiers de l’expédition étaient donc encombrés d’un nombre imprévu de prisonniers qu’il fallait nourrir, alors que les vivres étaient comptés. En pareilles circonstances, il était clair qu’un repli rapide s’imposait, mais aucune indication ne donnait à penser que cela s’était fait. Les communications étaient coupées depuis trois jours et on avait perdu trace d’eux.
    Des officiers entraient et sortaient dans un branle-bas incessant. Callières avait envoyé la veille une équipe au-devant de Manthet, avec mission de rejoindre l’avant-garde des troupes pour les ravitailler. On supposait qu’ils avaient dû enfouir des réserves de nourriture dans des caches, mais on doutait qu’elles fussent encore utilisables, avec toute cette pluie.
    Louis ne cessait de ressasser les mêmes idées obsédantes, incapable de dominer le pessimisme qui le rongeait. Les raisons qui avaient justifié cette entreprise étaient pourtant fondées. Il s’agissait d’annihiler la capacité de nuisance des Agniers juste avant l’assaut majeur que préparaient les Anglais contre le Canada.
    La terrible menace qui pesait sur l’avenir de la colonie était préoccupante. Les espions canadiens et abénaquis dépêchés en Nouvelle-Angleterre étaient formels : une flotte imposante constituée de nombreux vaisseaux mouillait devant Boston et n’attendait que le signal du départ. Louis avait même appris du ministre de la Marine que Guillaume d’Orange avait ordonné aux douze colonies de lever des troupes et de constituer une gigantesque force de combat. On parlait de six à huit mille hommes, pour le

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